« indietro Jean-Claude Villain
Question 1: «Est-il possible de reconnaître un «mandat social» au poète d’aujourd’hui?
La révolution formelle (essentiellement introduite par la modernité mallarméenne) a coupé la poésie d’un rapport à un public populaire. Les préoccupations formelles et esthétiques (déjà affirmées par le Parnasse) sont devenues prioritaires sur d’autres relations induites par le texte poétique dans la conscience et la sensibilité du lecteur. Francis Ponge, entre autres, suivra. De populaire, la poésie est devenue marginale, voire nimbée d’une obscurité élitiste, d’un maniérisme abscons, que rien, tant dans le sens que dans impact formel, justifiait. C’est aussi que dans le même temps un envahissement narcissique du texte poétique a formidablement eu lieu. L’ego des poètes s’est mis à primer: ils sont devenus moins préoccupés d’universel, moins partageux, moins fraternels. Le public, confronté à une incommunicabilité grandissante, a eu l’impression d’un langage auto-centré, à vide même, simplement complaisant et à la mode.
Il faut ajouter à cette toile de fond l’émergence des grands médias modernes: la naissance d’une société de communication de masse où l’expression poétique semble moins attrayante, moins facile, qu’un monde de sons et d’images très riche, où le meilleur côtoie le pire, mais qui offre aussi des registres passionnants pour l’expression de la sensibilité, du raisonnement et de la culture.
Il ne faut pas non plus oublier la croissance d’un mutisme et d’un autisme généralisés dont les causes sont peut-être historiquement traumatiques. Depuis le retour des soldats de la 1e guerre mondiale qui ne parlèrent pas de ce qu’ils avaient vécu, jusqu’aux atrocités régulières que le 20e siècle a manifestées, une permanente angoisse étreint l’homme moderne et semble montrer une perte sensible de la communication et de l’ouverture des hommes entre eux.
Question 2: La perte de communication du langage poétique est-elle une conséquence de la perte de représentation et de reconnaissance sociales?
Je réponds non à la question. C’est tout simplement dû, (voir ci-dessus) à un mouvement du langage poétique de l’intérieur.
Je suis par ailleurs d’accord avec le corps du texte: «la diffusion incontrôlée…. sans être représentatif».
En fait il s’agit avant tout, (nous situant ici en poésie et non dans le discours), de créer une véritable magie par la parole, tout comme le fait la musique par exemple. Et il y a là, en effet, quelque chose de l’ordre du sortilège. Certes ceci réfère d’une part à la sensation, et d’autre part à une modalité psychique particulière, essentiellement encore inconnue. Or les arts contemporains ne visent point tant la sensation que le concept (souvent expliqué à part, comme s’il fallait un «mode d’emploi» et une justification à une œuvre dont l’existence se mesure précisément au fait qu’elle «tient» par elle-même).
Question 3: Pouvons-nous mesurer l’influence qu’exerce aujourd’hui la poésie sur le renouvellement du langage commun ou du langage de la culture?
NON… sauf dans quelques repérages de rares figures de rhétorique dans les slogans publicitaires... Certains comiques aussi parfois s’en emparent mais c’est par une dérision qui, compte tenu de la basse représentation de la poésie dans la population moyenne, la dessert, évidemment.
Question 4: «Est-il possible d’attribuer à la chanson la représentativité sociale qui a été depuis des siècles l’apanage de la poésie? Non plus!
La poésie accessible à un grand nombre est-elle dans des formes simples – simplistes? – telles que le slam, le rap? N’est-elle pas plutôt incroyablement réduite par ces formes circonstancielles et probablement éphémères? Il est temps, selon moi, pour la poésie, d’entrer au désert en s’absentant. Ce qui sera la meilleure façon d’épurer la langue et, provisoirement, de «faire le point», de se resituer dans l’océan montant de la logorrhée ambiante. Je ne doute pas qu’elle survivra. Il faudra peut-être, comme à la Renaissance, aller aussi chercher des textes anciens, se ressourcer auprès des auteurs éternels, des chefs-d’œuvre intarissables. Je crois à cette actualité et cette modernité des «phares».
Mais je le répète, c’est aujourd’hui essentiellement d’ascèse dont la poésie a besoin, de retrait, pourquoi pas de silence (s’il y en a un aujourd’hui, relatif, il est positif), et non pas de la recherche inquiète d’une «présence» à tout prix, dans l’angoisse d’une perte quelconque de statut, voire d’une éventuelle disparition. Laissons-nous seulement le temps d’apercevoir, (et pour cela patientons un peu, comme aux époques de grandes migrations), où la poésie va migrer, quels sont les nouveaux territoires – topos et formes –, où elle est susceptible de (ré)apparaître.
Je voudrais ajouter que le statut marginal de la poésie dans le monde moderne (du moins occidental) appelle pour moi à une réflexion «écologique». Le monde naturel a profondément changé, des équilibres sont gravement menacés qui compromettent le devenir même de l’homme sur cette planète. Une certaine «alliance» est d’urgence à renouer, dans un enjeu quasi vital. Un monde s’est perdu dont la plupart des hommes – sans devoir se couper des bienfaits irréversibles de la modernité – ont la nostalgie. Il est naïf de penser – mais c’est ma conviction intime de poète (sans doute décalé et peut-être complètement décadent) – que l’idéal orphique est à retrouver. Certes Orphée est censé vivre en un temps encore proche de l’Age d’or où dieux, hommes et bêtes cohabitent en une fraternité constante. La poésie alors n’était pas un simple divertissement ou un quelconque jeu esthétique: elle avait pouvoir sur les êtres et les choses. Je crois naïvement que cela est encore possible… après l’actuelle traversée du désert, utile, incontournable, ascèse. Patientons!
[a cura di Michela Landi]
Jean-Claude Villain è filosofo di formazione, poeta e saggista. Ha pubblicato una ventina di titoli tra raccolte poetiche, saggi, opere teatrali, libri d’arte. Si occupa soprattutto della letteratura del Mediterraneo e dei suoi miti.
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