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LA TRADUCTION DE LA POÉSIE
di Yves Bonnefoy

I

Mesdames, messieurs, à travers les années je me suis attaché à diverses reprises au problème de la traduction de la poésie, mais jusqu’à présent je l’ai abordé avec en esprit les poèmes à traduire, et le souci des moyens qu’il faut employer à cette tâche: ce qui ne sera pas mon point de vue d’aujourd’hui. Car cette fois je voudrais poser devant vous, traducteurs que vous êtes, une tout autre question: celle de la nature et des effets de cet acte – traduire, traduire la poésie – chez ceux qui se vouent à cette entreprise et l’éprouvent même parfois comme une vraie obsession.
C’est là, en effet, un des traits marquants de notre moment historique. Dès que l’on parle, aujourd’hui, de la traduction de la poésie, les discussions s’animent, voire s’échauffent, dans des livres ou des colloques où les philosophes s’impliquent autant que les praticiens. Pensez à Paul Ricoeur, à Georges Steiner écrivant son After Babel, à Antoine Berman consacrant toute son existence qui fut trop brève à ces ouvrages si pénétrants, L’épreuve de l’étranger, L’auberge du lointain, pensez encore aux réflexions qui n’en finissent plus de reprendre sur la traduction selon Hölderlin, sur les spéculations de Walter Benjamin dans "La tâche du traducteur", sur l’approche par Klossowski du texte de L’Énéide. Est-ce là seulement le besoin de résoudre un problème assurément très complexe, une curiosité du seul intellect? Pour ma part, je perçois plutôt une espérance sous ces débats. Une espérance inconsciente de soi, ou mal formulée, et qu’il importe donc de comprendre.

II

Mais, avant tout autre chose, cette remarque: pour aborder comme il le convient le problème de la traduction des poèmes, ou plutôt, de la poésie, il faut s’attacher sans attendre à la question de la signification, qui demande une étude plus attentive que celle que l’on en fait d’ordinaire.
Il y a beaucoup d’impensé dans la réflexion sur la signification, mais tout particulièrement, en effet, sur sa place et son rôle dans les poèmes. On semble prêt à croire que cette place et ce rôle sont les mêmes que dans les autres emplois de la parole, et c’est d’ailleurs bien compréhensible. Il y a tant de significations qui ont, de toute évidence, une valeur comme telles pour les poètes, au plus intime de leurs poèmes. Ne faut-il donc pas s’y arrêter, en leur accordant la même importance que dans un contexte de prose? Ce ne semble guère douteux, et pour montrer que je consens à ce point de vue, au moins dans une certaine mesure, je vais faire appel à deux exemples, deux "incipits" qui tout de suite demandent d’entrer dans l’oeuvre par la voie de la signification.
Mon premier exemple, Sailing to Byzantium, de Yeats. Les premiers mots de ce grand poème sont "That is no country for old men". Du "meaning", ceci, de la signification s’il en est, et même un "statement" qui va introduire, on le pressent, à bien d’autres affirmations et décisions de pensée dans ce qui suivra. Or, dès ces premiers mots, que de suggestions comme stratifiées, matière à des interprétations entre lesquelles l’intellect se doit de choisir, ou tout au moins de mettre de l’ordre! Ce "that", qui est "no country for old men" , cet ici qui n’est pas un pays pour les hommes vieux, qu’est-ce donc? La vie comme telle, qui ne tolère pas la vieillesse? La civilisation occidentale qui ne sait plus, contrairement à de plus anciennes, faire place aux hommes qui ont vieilli, sollicitant leur éventuelle sagesse? Ou même: ce monde qui ne connaît plus que "the young" "in one another’s arms", ne seraitce pas la nouvelle Irlande, toute à sa révolution, à son rêve de rajeunissement, alors que Yeats, pour sa part, a commencé de vieillir et va renoncer à Maud Gonne? Ces quelques mots, ce premier vers du poème, c’est bien une question, faite pour inciter à une réflexion assurément conceptuelle, celle qui décidera, pour finir, de ce qu’est au juste Byzance pour le poète: Byzance, cette autre rive qui offre peut-être un bien qu’on ne trouve pas au pays des jeunes.
C’est beaucoup de l’aspiration spirituelle de l’Occident, beaucoup de son imaginaire métaphysique, qui se découvre ainsi, rétrospectivement, prospectivement, la préoccupation de Yeats écrivant Sailing to Byzantium, et voici bien, trouvée au hasard, la preuve qu’il y a de la signification dans les poèmes et que le traducteur de ceuxci ne pourra que chercher à la pénétrer, pour restituer dans son propre texte une pensée dont l’importance était bien possiblement très grande pour le poète. Et ainsi peut-il sembler évident que ce transfert est indispensable, qu’il est même l’essentiel de l’acte de traduction, ce que George Steiner dit à sa façon dans After Babel au moyen d’une métaphore dont la véhémence est certainement méditable: il s’agira d’un rapt, dit-il, la signification est la belle captive que l’on emportera dans son camp, quitte à la respecter, à lui rendre tous les honneurs.
Et cet autre exemple, maintenant, cet autre début de poème, d’autant plus significatif qu’il peut paraître au premier abord tout autre chose qu’une pensée articulée, simplement le tableau d’une campagne nocturne. Au seuil de la "Sera del dí di festa" Leopardi écrit:

Dolce e chiara è la notte e senza vento,
un vers que j’ai traduit, avec les suivants, par

Douce et claire est la nuit et sans un souffle
Et paisible au dessus des toits, sur les jardins
S’est arrêtée la lune, qui désigne,
Sereines, les montagnes...

inversion, cette "serena ogni montagna" qui me paraît accentuer la stabilité, l’immobilité paisiblement respirante de la ligne de l’horizon. Ici, dans ce monde du seul regard, pas de concepts, dirait-on, porteurs d’idées, rien que des mots ne désignant que des choses. Et pourtant une pensée est là, implicite, et il est essentiel d’en prendre conscience. En ce moment d’attention soutenue au monde visible, c’est la beauté de celui-ci qui est apparue, et avec elle, presque dite par ces mots, "dolce, "queta", "serena", c’est comme si une promesse de bonheur ou au moins de paix montait de la terre et même tombait du ciel, par la grâce de cette lune on dirait désireuse de faire halte dans ce pays.
Or, tout de suite après dans le grand poème est poussé un cri de douleur, la nature est accusée d’être la tombe de l’espérance, sa beauté n’est plus que l’énigme à laquelle l’esprit se heurte avec une immense détresse. Conclusion? ces mots, "dolce", "chiara", "queta", "serena" ne sont plus maintenant de simples touches dans le travail d’un peintre de paysage, mais des notions elles-mêmes énigmatiques, au vu desquelles l’esprit se doit d’examiner ses limites. Et la signifi cation de chacun de ces adjectifs, qui n’ont certes pas été choisis au hasard, doit être scrutée, d’entrée de jeu. La signification, qui semblait absente de ces vers, y est en fait très active, et comme déjà une réflexion: celle d’un jeune être souffrant qui se pose sur son existence et le fait même de vivre les questions les plus angoissées.
Il y a donc de la signification dans les poèmes, et même de façon plus complexe que dans bien des textes "de prose"; des raisonnements du désir ou de l’émotion qui valent bien, en logique et ampleur de vue, ceux de la pensée analytique des sciences humaines ou naturelles. Et il faut évidemment traduire ces idées, ces raisonnements: une des nombreuses façons d’être un mauvais traducteur étant de croire que les poèmes ne sont que des montages de mots dont on peut se contenter de calquer la figure superficielle parce qu’ils n’auraient rien de sérieux à dire. Je connais beaucoup de ces traductions de simple apparence, qui discréditent la poésie.
Mais constater cette évidence n’est rien, car ce n’est pas encore avoir décidé de l’emplacement de la signifiance dans l’opération poétique ni pris conscience de sa fonction, qui est peut-être tout autre chose et bien plus que la communication d’une pensée. Les significations qui s’entrecroisent dans un poème sont-elles le plus clair de la poésie, et ce que le traducteur doit donc restituer en toute priorité? Ou toutes ensemble ne constituent-elles pas qu’un seul plan dans l’espace du poétique, lequel pourrait même valoir de leur opposer un acte tout autre de la conscience?
Il faut évidemment se poser cette question, que je ne trouve pas trop présente dans les réflexions d’à présent sur la poésie. Et pour la formuler dans les perspectives que je crois justes, il me parait de bonne méthode de définir maintenant ce que c’est que la poésie, la poésie comme telle, la poésie qui est assurément autre chose qu’un des aspects du discours.

III

Définir la poésie! Le faut-il vraiment, allez-vous penser. On l’a fait si souvent, avec peu de résultats appréciables. Et, même, ne doit-on pas se demander si cette entreprise, qui ne saurait être que conceptuelle, n’est pas vouée à trahir une parole qui ne l’est pas? Mais je n’ai pas cette crainte, et vais tenter de vous faire part d’une idée de la poésie.
Ce sera en partant d’une expérience vécue, et même vécue dans notre vie à chacun la plus quotidienne, en deçà de toute pensée de la poésie et de tout projet d’écriture. Une expérience qui souvent d’ailleurs a lieu dans l’enfance: celle de ces moments où une chose, ou quelqu’un, sont là, devant nous, avec soudain en eux ce que je nommerai "de la présence", c’est-à-dire une densité de leur être-là, une intensité de leur manifestation, qui transcendent avec une évidence absolue, irréfutable, notre éventuel désir de réduire ces choses ou ces personnes à une pensée de ce qu’elles sont.
Cette chose – un mot bien pauvre, en cette occurrence –, cela peut être la cime d’une montagne, apparue derrière des arbres, ou un grand chêne isolé, dans une clairière, ou une source dans un fossé ou même, simplement, le bruit, le bruit très faible, de cette source. Cette personne, cela peut être un inconnu aperçu de loin, à contre-jour, mais tout aussi bien quelqu’un de parmi nos proches, vu comme on ne l’avait pas vu jusqu’en cet instant. Et ce qui alors émane des uns comme des autres, c’est l’évidence d’une intériorité, d’une unité qui ne pourront se laisser réduire à la somme des aspects qu’en retiennent les appréhensions conceptuelles, dont c’est la manière de procéder.
Le concept, en effet, c’est ce qui isole un aspect dans l’objet, lui donne un nom, et au moyen de ce nom insère cet aspect dans une relation avec d’autres qui est la signification comme telle. Et de ce fait la réalité existante est abolie, effacée de notre conscience, car rien n’existe qui ne soit transcendant à chacun de ses aspects et même à la somme de ceux-ci. De ce qui est, avec le concept, on ne retient qu’une image. Dans l’instant de présence, en revanche, dans cet instant de saisissement, l’être ou la chose nommés se sont dégagés de leur image. Et la réalité tout entière apparaît sous un autre jour, car on constate alors que les aspects sont en nombre infini dans la moindre chose, mais surtout qu’ils y sont ensemble, enchevêtrés, et qu’ils retiennent le regard et non d’abord la pensée. La chose est là, sous nos yeux, dans son "ici" et son "maintenant ", rien ne peut en prendre la place, elle a le caractère d’un absolu, – et c’est un absolu qui rejaillit sur nousmêmes, qui dans cet instant la regardons. D’une part nous comprenons que nous sommes comme elle un ici et un maintenant: ce que "jamais on ne verra deux fois", comme l’a écrit un poète. Et d’autre part, en cette finitude même, en ce non-être, nous ressentons que nous faisons corps avec le monde, que nous existons autant que lui et en lui. D’où l’émotion qui nous submerge dans ces instants de présence. Nous étions de l’énigme, nous voici désormais de l’évidence.
Je me suis bien attardé à décrire cette expérience. Mais c’est parce qu’elle est à mes yeux d’une importance fondamentale. Je la vois comme le lieu dans l’esprit dont plusieurs voies partent, et l’une est la poésie.
La première de ces voies? Celle que prennent les mystiques qui, après l’instant de présence, veulent ne pas retomber dans le discours conceptuel, craignant que celui- ci n’efface le souvenir de l’événement qui vient d’avoir lieu; et comme il n’est pas de mot dans la langue qui ne soit porteur de concepts, ils cherchent à se dégager du langage, à se taire aussi radicalement que possible.
Mais il y a un obstacle, sur cette voie, c’est que si on renonce à l’emploi des mots on renonce aussi au rapport aux autres personnes, dans un monde qui n’a figure que par l’effet du langage. Et on peut ne pas vouloir ce renoncement, et ce sera alors s’établir dans un mode d’être ambigu, que j’appellerai la poésie. La mémoire demeure, au moins partiellement, de l’expérience première, les concepts sont restés là, cependant, dans nos mots, dans notre parole, il faut donc retourner les mots contre les notions qui en réclament l’emploi. Une conscience duelle, à la fois dans le relatif et dans l’absolu, dans la fragmentation et dans l’unité. Une entreprise qui peut paraître contradictoire. Mais c’est une recherche qui peut commencer, tout de même, et même être poussée assez loin.

IV

Il y a, en effet, que le langage présente une particularité remarquable. Et qui est que les mots sont porteurs des concepts, c’est bien vrai, et assurent ainsi la signification, mais qu’ils sont aussi une matière, en l’occurrence un son, celui qu’ont les phonèmes quand on les prononce à voix haute. Et ce son, c’est de la signification encore, jusqu’en un certain point, il permet de différencier les mots, de distinguer entre "livre" et "lèvre", il fournit les allitérations qui soulignent des pensées ou imitent des perceptions, ainsi quand Lamartine écrit que le "rossignol s’enfuit en sifflant", un bien mauvais vers mais un bel exemple de captation du son par le sens. Toutefois une autre écoute du son des mots est possible. On peut entendre le son indépendamment de tout sens, l’entendre dans le mot comme on voit une pierre sur le chemin: privée de sens, muette, retirée dans son en-soi impénétré et impénétrable. Et c’est alors avec lui aussi, avec ce son caché sous le sens, une expérience de l’immédiat. Il est là, devant nous, au-delà de toute signification concevable autant et de la même façon que la pierre brute.
Il y a en lui, cependant, quelque chose qu’il n’y a pas dans la pierre. Et qui est que l’être parlant que nous sommes peut faire corps avec lui sans qu’il ait à cesser d’être ce dehors, cette immédiateté absolus. Un bloc de pierre peut présenter à sa surface du rouge, du brun, du bleu sans cesser pour autant d’être la pierre privée de sens sur quoi vient buter l’esprit, et de même le son vocal a une diversité perceptible, celle des voyelles et des consonnes. Mais la couleur de la pierre va nous rester étrangère, tandis que la variété des sons peut accueillir notre voix. Par de possibles répétitions de telle ou telle donnée sonore, par des allitérations qui s’y marquent, c’est-à-dire bientôt des rythmes, la voix peut venir habiter le son dans l’espace même des mots. Or, qu’est-ce que la voix? L’expression de notre pensée? Non, bien plutôt la présence sous celleci d’un corps aussi immédiat que ce son ou ce bloc de pierre, en ce sens qu’il est décidé par des besoins d’être ou d’avoir qui le font exister en deçà des généralités du concept. Le son et la voix s’unissent par en dessous le concept. Et il en résulte que notre intuition de présence peut vivre là, bien que parmi les significations. Elle peut paraître à leur table, pour en dénoncer l’autorité.
Après quoi? Eh bien, les concepts, les signifiés ne contrôlant plus notre regard, les choses peuvent se présenter comme en l’instant fondateur de la poésie, disons en tout cas, plus modestement, comme elles le font, par exemple, lorsque nous allons silencieusement sous des arbres, à la lisière d’un petit bois. Les choses ont retrouvé leur immédiateté, leur unité, dans cette parole même qui les avait abolies. Et la poésie, c’est ce recours au son pour retrouver sa mémoire de la présence, comme son histoire le montre bien, qui se confond avec celle des mètres, des vers, des rimes, de tout ce qui fait valoir, par rythmes, par musique, le déploiement du son contre celui de la signification.
Que je me hâte pourtant de dire que cet acquis n’est jamais que provisoire. Le corps aussi est pénétré de concepts, ses désirs ont fait alliance avec eux pour leurs actions ou leurs rêves, la vie ordinaire aussi réclame dans le poème, et les significations sont donc toujours là, avec leurs façons de mettre la finitude à distance, d’en réprimer le savoir. L’attestation de la présence dans la parole, en cela pleine poésie, ce n’est jamais que pour un instant, et la poésie comme elle est en fait, c’est moins cette délivrance que son besoin, et s’obstiner à la retrouver quand déjà elle n’est plus qu’un souvenir, dont même on vient à douter. La poésie, c’est chercher plus que trouver, peutêtre même est-elle plus vraie quand elle cherche, avec fièvre, que lorsqu’elle trouve, non sans parfois s’abuser. Et je la dirai, au total, une activité. Non un texte, car l’essentiel est en dehors du poème, dans le vécu. Non un état de conscience, puisque ses bonheurs sont si instables et fugaces, mais une activité, où joueront leur rôle contradictoire notre aliénation par les mots et notre besoin d’accéder à l’être.

V

Je viens de consacrer beaucoup de temps à définir la poésie, dans cette heure où j’ai à parler de sa traduction, et encore l’aurai-je fait d’une manière bien trop succincte. Mais ces indications me permettent d’en revenir à la signification dans les poèmes, et de montrer qu’elle cache un piège qui risque d’être fatal au traducteur.
Des significations, explicites ou implicites, voulues ou subies, simples ou complexes, on en trouve partout dans les poèmes, je l’ai déjà souligné, et souvent de la plus grande importance, mais ce que nous voyons maintenant, c’est qu’elles y sont comme un empêchement à la poésie, puisque celle-ci apparaît comme le déni du conceptuel au profit d’une intuition de présence, d’un regard sur l’immédiat, sur la finitude, cependant que les significations, c’est du conceptuel, c’est-à-dire du médiatisé, de la généralisation, l’oubli du temps, de la mort. La signification est nécessaire à la poésie, puisque celle-ci est un fait social, une parole adressée aux autres êtres. Mais elle est aussi ce qui l’aveugle, et ce que le projet poétique ne peut donc que dénoncer autant qu’employer, dans une action dialectique qui traverse ses mots et en rectifie la visée. – Alors, que va donc pouvoir faire le traducteur? Comment peut-il revivre ce qui n’est pas formulation mais combat? Ce qui n’est pas un texte, mais le mouvement qui a produit celui-ci, et ne vaut que par les traces qu’y a laissées son espérance déçue?
Ces significations, il faut tout de même que le traducteur s’en occupe, et un mot, tout d’abord, sur le peu de moyens qu’il a, de toute façon, pour les appréhender et les restituer. Car, par exemple, les concepts qui les constituent ne se retrouvent jamais tout à fait les mêmes dans la langue qu’il emploie: ce qui suffit, aussi minimes ces écarts pourraient-ils paraître en prose, pour égarer la pensée et le sentiment poétiques.
Des exemples? "Speech", en anglais – ou "speechact "! – sont évidemment débordés par notre "parole", une notion qui est en français ancrée dans la vie de tous les jours, avec ses émotions, ses rêves, ses espérances. "Obvious" sera "évident" mais comme un raisonnement peut l’être; et notre "évidence" française, qui est l’autoproclamation de l’identité à soi-même d’une chose, n’a pas non plus d’équivalent en anglais. Comment dire en anglais, d’un seul mot semblable, "l’évidence" d’un grand moment de la vie, ou simplement de l’éclat du ciel du soir? Et dans la langue de Keats mais aussi de Locke ou de Hume ce ne sont pas seulement les concepts qui sont autres que dans les parlers de souche latine, c’est la conceptualisation comme telle qui se situe autrement dans la conscience. Les concepts en anglais imaginent moins que les nôtres qu’ils expriment directement la nature intime – l’essence – des événements ou des choses, ils préfèrent les prendre par le dehors, en cela davantage capables de l’empirisme des sciences.
Et pensez aussi aux contaminations des concepts par leur contexte dans la langue ou la civilisation, voire le climat. Je pense à "spring", en anglais, le printemps, un mot qui peut se faire concept quand il s’agit de comprendre les besoins de la vie, les époques de l’existence, les sentiments, ou le devenir des cultures. L’idée du printemps est évidemment importante partout au monde, le mot "primavera" éveille lui aussi beaucoup d’émotions, même notre pauvre "printemps", si peu évocateur, est bien reçu parmi les poètes, mais comment rivaliser avec "spring", qui également signifie la source, avec entre source et printemps la présence active d’un verbe, "to spring", leur origine commune, qui dit, qui déploie, le jaillissement, la brusque irruption du caché? "Spring", "springtime" si importants, aussi bien, si prévalents dans la poésie anglaise, ainsi à l’époque élisabéthaine quand les fêtes de mai et autres rites et danses de la religiosité populaire étaient encore vivants. Traduire "spring" ou "springtime" par "printemps", c’est perdre beaucoup des chansons de la renaissance anglaise ou du folklore irlandais.
Et si d’ailleurs il s’agit pour le traducteur, par exemple dans ces chansons, d’écouter les sons et les rythmes, d’autres difficultés se présentent, dont il ne me semble pas qu’on ait assez pris mesure. D’une langue à une autre à ce plan des sons, qui sont toujours en rapport étroit avec le sens, aucune possibilité de transposition réelle, rien que de vagues ressemblances qui n’abusent que ceux qui ne savent ni écouter ni comprendre.
Je pense, disant cela, au Corbeau, le célèbre poème d’Edgar Poe. Il est clair que cette méditation du néant a pour expérience originelle deux ou trois sons que Poe entendait se répercuter dans les vers comme des échos dans des salles vides, suggérant un monde où rien ne serait que de la mort, de l’absence, du néant. Et au premier rang de ces sons il y a "ore", si beau d’ailleurs, et si bien placé dans ce poème pour en servir l’intuition, puisque c’est "ore" qui résonne dans la porte que frappe l’être inconnu, the chamber door, ou qui évoque de vieilles croyances énigmatiques, celles des volumes of forgotten lore, ou qui appelle toutes les vies à s’effrayer de la nuit, c’est alors the Night’s Plutonian shore; et qui, surtout retentit, dans le mot Nevermore, "jamais plus", fatidiquement répété. C’est sur ce son "ore" que tout se joue, mais que pourra-t-on en sauver dans la traduction du Corbeau? Faudra-t-il, en français aussi, faire appel à des sons en ore, si par chance on peut en trouver dans des mots qui se prêteraient aux mêmes évocations?
Eh bien, le Français qui fut le plus fasciné par le Corbeau, un poète au moins aussi grand que Poe, Mallarmé, a remarqué ce son "ore" et l’a employé lui aussi, dans son non moins célèbre "sonnet en –yx". Ce sonnet est aussi nocturne, aussi pénétré de la pensée du néant, que le poème américain, qui en fut d’ailleurs la cause première; et on pourrait donc croire que les rimes en "ore" produisent dans le "sonnet en –yx" les mêmes effets que chez Edgar Poe. Mais pas du tout! Les rimes en "ore" chez Mallarmé sont lampadophore, un mot quasi inventé, d’aucune résonance affective, amphore, sonore, qui font plutôt penser à la Grèce antique et à sa lumière, et enfin la forme verbale s’honore: rien donc qui suggère quoi que ce soit de funèbre, de sépulcral. Et dans les tercets, juste après ces premiers emplois, le son "ore", qui ne disparaît pas, se resserre en "or" pour quatre autres rimes centrées sur l’idée de l’or le métal stérile, et sur celle du septuor, une forme pure, autrement dit sur un intellect pour lequel la réalité, ce sont des essences, des structures intelligibles, exactement le contraire des associations vagues et ténébreuses montées de l’inconscient du poète américain. Le son qui, chez ce dernier, ouvrait sur l’inconnu, suscitant l’impression d’inquiétante étrangeté, l’angoisse métaphysique, l’effroi, c’est chez Mallarmé ce qui dénie tout mirage, ce qui tente de cautériser l’inquiétude qu’avait suscitée Le Corbeau. Mallarmé a perçu que les sons ne s’expatrient pas. Et quand il traduira les poésies d’Edgar Poe, il jugera donc plus raisonnable de renoncer au secours des sons et des rythmes. Il traduira Poe en prose.
Les rythmes, d’ailleurs, comment Mallarmé aurait-il pu en faire un moyen de sa traduction puisque le français est une langue peu accentuée, où la forme est créée en poésie, en tout cas l’a été longtemps, par le décompte des syllabes? Tandis que l’anglais a des accents très distinctement marqués, ce qui permet l’iambe, cette syllabe brève suivie aussitôt d’une longue, porteuse de l’accent: une sorte de pas, d’avancée franche, qui permet une relation cette fois directe à l’expérience du temps, celui non des horloges mais de la vie. La poésie en français va de l’intemporel vers le temps, l’anglaise naît dans le temps existentiel et s’y établit.
En bref, que d’empêchements, à tous les plans de la signification, et maintenant la difficulté fondamentale, celle d’avoir à traiter cette signification, bien traduite ou pas, comme l’obstacle que le poète a eu à surmonter dans ses vers pour accéder à la poésie! C’est au point que l’on peut se demander si la traduction de la poésie est possible; s’il vaut la peine de l’entreprendre.

VI

Mais je vais cesser maintenant de penser au poème ou au poète pour prendre en considération le lecteur, ce troisième terme dans l’événement poétique.
Être un lecteur, un vrai lecteur, qu’est-ce que cela signifie? Que l’on a vécu, comme le poète lui-même, un de ces moments qui assurèrent de voir d’une façon autre que dans les états ordinaires de la conscience. Après quoi, et toujours comme le poète, on a compris que la pensée conceptuelle était un appauvrissement du regard et on a rêvé d’une parole plus pleine. Le lecteur assiste, dans les poèmes qu’il lit, à cette transgression du conceptuel qu’il a appelée de ses voeux. Il n’est pas la cause de celle-ci, il peut même craindre qu’il n’aurait pas pour sa part l’énergie d’en entreprendre la tâche, mais il est tout de même en mesure d’en suivre le mouvement, d’en reconnaître les avancées et les défaillances, d’en partager l’espérance: et cela, très en profondeur. Car l’oeuvre, ce fut pour commencer une écoute du son, une adhésion à un rythme, une implication de la voix dans la parole. Et lui aussi, le lecteur, il a un corps, une voix. C’est à demi voix plus qu’avec ses yeux qu’il lit. Ce qui assure d’ailleurs un surcroît d’intimité avec celle-ci. On peut penser que la pensée du poète se livre à lui, d’autant que c’est dans le texte même, et non en deçà de celui-ci, qu’elle vit ses espérances, et constate et médite ses échecs. L’oeuvre est le journal d’un rapport à soi, même quand elle tente de ne pas l’être. Le poète y avoue ce que dans sa vie au dehors de l’oeuvre il cacherait aux autres ou en tout cas ne parviendrait pas à leur dire.
Le lecteur a accès à la pensée, disons même à l’être, de l’auteur, et cela, c’est exceptionnel, dans le rapport entre les personnes. Nous nous gardons, en effet : devant nous-mêmes autant que devant les autres. Et s’il en va autrement dans la relation d’amour, c’est de façon bien ambiguë et fragile. L’amour est bien, en tout cas il devrait être, la reconnaissance d’un autre en l’absolu de son hic et nunc; et c’est donc aussi le désir d’être à soi-même une vraie présence, ouverte à des intuitions ordinairement réprimées. Mais l’être aimant est souvent le prisonnier d’une idée de soi, qui se projette sur qui il aime, lui substituant une image. Et cet autre, n’est-il pas porté lui aussi à s’enfermer dans ses mots, dont il est seul à avoir la clef? Pour transgresser ces malentendus il faut à l’amour une intensité qui est aussi rare que les grands moments de la poésie.
Et voici qui confère donc au lecteur un statut singulier dans la relation sociale: il est – ou du moins, peut être – celui qui, allant à l’autre, et se prêtant à des mots que cet autre avait écrits sans un interlocuteur encore, comprend le besoin d’échange, l’assume, et assure ainsi à un être, cet écrivain, ce poète, cette présence pleine que l’intuition poétique a rencontrée, plus brièvement, dans le monde. Le lecteur transpose dans un rapport de parole cet événement qui avait pris de court le langage. Après le son dans le mot, il est la seconde chance du poète, qui l’anticipe, aussi bien, qui l’appelle – "hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère" – dans le champ de son écriture: et quelquefois, hélas, pour tenter d’en étouffer l’exigence. Mais tout n’a pas été dit, de ce point de vue qui est en somme celui de la circulation du poétique dans ce rapport social pour lequel le poète a renoncé à se vouloir le mystique.
Reste en effet que si le lecteur peut participer ainsi de la recherche tentée par le poète, à partir d’une expérience première qu’ils ont faite l’un comme l’autre, il n’est pas moins privé de l’entendre autant qu’elle le mérite, c’està- dire avec les moyens d’intensification et de vérification que lui donnerait sa propre faculté poétique s’il l’exerçait comme il le pourrait peut-être et là où il le faudrait alors, dans le champ de sa propre vie. La pleine écoute demande que l’on soit averti de qui soi-même l’on est, au niveau profond où contact a été repris avec le sentiment de la finitude. Et pour ce faire il faut s’engager dans un travail d’écriture – de remuement de soi par l’écoute du mot, l’éveil de la voix, la parole rendue à l’intuition de présence dans la vie la plus personnelle – que ce moment de simple lecture ne permet pas.
D’où suit, d’ailleurs, que le lecteur aura beau être averti de la poésie et perceptif du poète, il va se retrouver aussitôt après sa lecture dans son parler habituel, où le conceptuel prédomine, et ne pourra penser à l’oeuvre lue, ou en faire part à d’autres que lui, qu’à la façon des critiques, avec déjà, sur son expérience première, ce regard qui la met en risque d’être perçue du dehors, de devenir objet d’analyse. Ce lecteur devenu critique va s’intéresser aux idées du poète, disons, au lieu de rester à vivre à l’intérieur de ses mots.

VII

Bien, mais pourquoi ces remarques, sur le lecteur de la poésie? Parce qu’elles nous conduisent au coeur de notre problème, celui de la traduction.
Imaginons, en effet, imaginons maintenant que ce lecteur soit en présence d’un texte écrit dans une langue étrangère; et qu’il se propose d’en faire une traduction qui préserverait son caractère de poésie. Sera-ce la même situation de rencontre à la fois intime et empêchée que celle que je viens de décrire dans le cas d’un lecteur parlant la même langue que le poète, ou ne songeant pas à le traduire? Non, absolument pas. L’obstacle qui empêchait la pleine lecture a disparu, en effet, ou du moins pourrait disparaître. En décidant de traduire la poésie, la poésie comme telle, le lecteur en question, celui qui sait ce que c’est que la poésie, a évidemment en esprit l’importance du son et des rythmes dans celle-ci, et donc le rôle fondamental qu’y joue l’écriture. Il sait que la poésie est un acte, il sait que c’est cet acte qu’il faut traduire. Et il a donc compris que cela ne sera possible qu’au plan où luimême, cessant d’être un récepteur passif, et voué à la seule intellection, va prendre en main sa propre existence, dans une écriture à son tour, où celle du poète qu’il veut traduire jouera le rôle de visiteur écouté, de guide. Le traducteur de la poésie se doit d’être un poète, obligé à soi autant qu’à l’auteur. C’est précisément pour cela et comme cela qu’il n’est pas le lecteur ordinaire, celui qui ne songe pas à traduire. Il est autre. Est-il davantage? Disons qu’il se donne une tâche qui va le requérir davantage.
Entendons-nous, d’ailleurs. Je suis loin de penser qu’un rapport nécessairement profond va s’établir, entre ce traducteur qui se veut poète et l’auteur, du simple fait que soit prise cette sorte de décision. Le traducteur a évidemment des limites, dans sa capacité de poète, qui vont se marquer assez vite après ce premier instant. D’autre part il se heurtera, à ce plan d’écriture aussi, aux disparités qui existent entre les langues, ce qui peut l’empêcher de comprendre le texte original, moins dans sa littéralité que comme occasion de sympathie, de complicité. L’oeuvre peut présenter dans cette situation d’écoute plus intérieure de quoi le rebuter, le décourager. Mais là n’est pas la question.
faire valoir, c’est cette intimité accrue, qu’elle soit ou non en péril de malentendus ou d’échec. Car elle permet une prise de conscience que rien autrement n’assure dans la communauté des poètes; un regard sur les soubassements de l’acte de poésie qui suffit à donner à cette entreprise, la traduction des poèmes, à bien des égards si décevante, une valeur et une importance considérables qui pourraient même, demain, le devenir plus encore. Pourquoi cela, quel est cet apport spécifique de la traduction qui se veut d’emblée écriture, d’emblée recherche de poésie? Mais remarquons d’abord le lieu où – de toutes façons, quelque soit le traducteur – s’établit la relation de qui traduit à ce qu’il traduit. Un traducteur, c’est quelqu’un qui doit lire comme d’ordinaire on ne le fait pas. Il se doit à chaque détail, que ce soit une métaphore obscure ou un passage mal édité, corrompu; il n’abandonnera cette énigme que lorsqu’il l’aura éclaircie; et pour ce faire il aura consulté les lexiques savants et les éditions critiques, écouté dans celles-ci ou ailleurs l’opinion du plus grand nombre possible d’exégètes, même questionné ses amis. Un traducteur, autrement dit, ne cesse de s’arrêter, de revenir en arrière. Et parfois c’est de nuit autant que de jour, au milieu de ses autres occupations, d’où de l’affection, bien souvent, pour cette oeuvre vécue si proche, pour cet auteur, et le désir de rester en leur compagnie: nombreux ceux qui le font jusqu’au dernier jour de leur existence.
Et si le traducteur est poète, c’est-à-dire porté dans l’oeuvre à son caractère de poésie, désireux d’en pénétrer le secret, quel surcroît d’écoute ces formes concrètes de son travail vont-elles lui assurer! Celui-ci est donc un événement de sa vie la plus quotidienne, or celle-ci est évidemment le foyer de ses décisions les plus essentielles, étant sa finitude en action. Et la lecture de l’autre se mêle donc à sa lecture de soi au plan qui découvre le mieux ce qui dans une vie de poète en soutient et explique les décisions d’écriture. L’auteur peut être présent à son interprète à tous les niveaux de sa vie, depuis les moins héroïques. Des signifiants de ses poèmes s’éclairent, qui auraient pu demeurer inexplicités. Voici qui ne peut que faciliter la prise de conscience que j’annonce fondamentale.
Comment caractériser celle-ci? D’un mot: ce que j’ai dit et redit qui faisait obstacle à la traduction des poèmes – autrement dit les concepts de la langue où ils sont écrits, la façon dont ils ont rapport au réel, leurs relations réciproques, tout cela étranger à la langue du traducteur –, c’est cela maintenant qui se révèle sa grande chance. Ces différences désespérantes, du point de vue du poème qu’il faut produire, en reflet supposé de l’original, c’est cela qui se fait une occasion de pensée et même de maturation poétique. Et pourquoi? Parce que la comparaison des structures conceptuelles, entre les deux langues, ou même avec d’autres encore, pointant à l’horizon du travail, c’est ce qui permet de démonter les manoeuvres de la pensée conceptuelle, dont les prétentions d’absolu, quant au savoir de la vie, ne peuvent que s’écrouler quand le témoignage d’une langue montre qu’elles ne sont que les habitudes d’une autre. Et c’est donc ce qui dans la traduction vient soutenir, ce qui est utile, l’affirmation poétique que les systèmes de représentations conceptuelles ne sont jamais que des mondes-images, dans lesquelles s’est effacée la plénitude de l’être. La traduction n’est-elle que le rendu incertain d’une poésie? Non, elle est l’occasion de penser à la poésie, d’en comprendre les voies, d’en indiquer la nécessité, d’aider à son recommencement là où cette nécessité était en risque d’être oubliée. Et elle peut apporter ce témoignage et désigner cette voie d’une façon convaincante, parce que c’est dans une écriture de poète, au travers de son existence, qu’elle aura acquis ces pensées, et non par simple philosophie.

VIII

Devrais-je m’expliquer davantage, sur ces situations où la traduction nourrit l’analyse différentielle? Assurément, et d’abord en donner quelques exemples. Suivre ainsi quelque traducteur, français disons, quand il constate que le chemin qu’il eût pris, spontanément, se voit dénoncé, refusé, par un grand poète, sur quoi il lui faut s’interroger sur le sens de la vie, sur les façons d’être, et parfois porter loin, dans sa pensée et son écriture, une réflexion sur soi et le monde. Traduisant Shakespeare, j’ai eu pour ma part à affronter la question de l’acceptation par l’auteur d’Hamlet d’images on ne peut plus triviales au sein même de la parole tragique, ce qui révèle un rapport de la conceptualisation au monde tout autre que dans le théâtre de Racine, tout autre aussi que chez Victor Hugo ou Claudel: et ce fut donc devoir repenser beaucoup de choses depuis ma lecture du classicisme, obligé d’avouer ses torts, jusqu’à des aspects de ma propre vie. D’autres cas de semblables heurts entre façons d’être, suivis de vraies décisions, je pourrais et je devrais en donner, ils sont nombreux dans l’histoire des traductions comme aussi dans mon expérience: mais le temps me manque, aujourd’hui.
D’où plutôt, et plus rapidement, deux remarques, sur la conséquence à tirer de cet apport de la traduction, dans le champ des pensées de notre époque. D’une part, celleci étant ce qu’elle est, une méconnaissance assez générale de l’acte de poésie, il n’y aura jamais trop de réflexion chez ce traducteur qui en est capable. Bien sûr, il doit d’abord être soi, au sens le plus concret de ce mot, au coeur des faits de sa propre vie, c’est d’ailleurs la seule façon possible, je l’ai dit, de se porter, par de l’écriture, à l’intelligence du poétique dans l’oeuvre que l’on écoute. Mais le besoin de la poésie moderne est moins d’explorer une subjectivité que de poser la question de la présence, puisque elle est seule aujourd’hui à pouvoir le faire, en marge de religions trop encombrées de leurs mythes. Les poètes se doivent donc d’observer et de dire aussi précisément et complètement que possible le lieu et les voies de leur acte de poésie. Et le traducteur lui aussi, poète en sa traduction, se doit d’aller tout aussi loin dans l’examen d’un travail dont il a fait son laboratoire autant que l’expression de son affection pour une oeuvre. Toute traduction est une pensée, qu’il est bon de rendre explicite dans les marges de l’écriture proprement dite.
Et cette autre remarque: il ne faudra pas attendre d’elle, en revanche, ce qu’elle n’a pas à donner. D’abord, la fidélité littérale. Puisque pour comprendre un poème le traducteur doit en passer par la personne qu’il est, celleci va interférer avec le texte de ce poème, cela créera des remous, mais la recherche a même visée dans les deux textes, et on peut compter que ce qui compte dans l’oeuvre aura été reconnu, et en profondeur, quand le travail sera terminé. De la désinvolture, non: le seul véritable sérieux. Et qu’on n’oublie pas, aussi bien, comment la poésie se donne à entendre. Non par la lecture sage, celle qui va du premier mot d’un livre au dernier, mais par des vers isolés, des images qui se détachent des pages, qui éblouissent: et un vocabulaire qui souvent trouble sans qu’on en comprenne le sens. La poésie est moins un texte qu’une matière qui irradie sa lumière. Et c’est une matière de même sorte que le traducteur doit livrer à l’attente de son pays et de son époque.
Cette attente, en retour, on se gardera d’en faire un programme, un échéancier. Les traducteurs se devant d’être des poètes, ils seront tout aussi imprévisibles et même aussi peu nombreux que les poètes le sont. Et ainsi faudra-t-il se résigner à ne pas voir tel grand poème traduit au moment où on le voudrait par tel traducteur qu’on eût espéré pour lui. Plutôt prévoir à côté des traductionspoésie des approches qui trouveront leur qualité, leur grandeur, dans l’investissement méthodique de tout ce qui dans l’oeuvre est le matériau du poétique : travaillant alors sur la signification comme telle, la dégageant des énigmes que font peser sur elle, par le dehors, le dictionnaire ou quelques événements de son moment historique. Ces traductions savantes, et j’en connais d’admirables, sont évidemment nécessaires, pour bien des besoins de l’esprit. Il faudrait seulement qu’elles accentuent leur valeur explicative par un appareil d’introductions et de notes qui serait le parfait complément des traductions d’entrée de jeu poétiques.
Si bien qu’entre celles-ci et celles-là, entre faits de langue et vérité de parole, on pourrait même espérer une relation vraiment dialectique.

IX

Au commencement de ces réflexions, j’ai peut-être laissé entendre que le traducteur de la poésie avait à subir la langue du texte original au moins autant qu’à l’affectionner. Tant de difficultés lui venant des différences entre cette langue et la sienne à ce plan où la poésie se cherche! Toutefois, puis-je en rester à cette pensée? Certes non. D’abord, je viens de dire que ces difficultés étaient en réalité une chance. Elles privent ce traducteur de la littéralité dans le poème mais lui ouvrent la voie d’une pensée de la poésie.
Mais elles offrent plus que cela. Imaginons, en effet, qu’il n’y ait qu’une seule langue: comme "avant Babel", dirai-je par métaphore. Une structure conceptuelle régnerait alors sans partage sur les esprits, ce qui aurait des effets funestes. Du concept aboutissant résulterait l’oubli de la finitude et de son savoir de la vie, la réification d’autrui et de tout, la hantise d’avoir, de posséder, l’orgueil de l’avoir fait ou d’être en mesure de le faire: un totalitarisme, immanent à chacun et tous dans une société privée d’espérance. Bien mieux vaut donc qu’il y ait des langues diverses. Prenant conscience de différences on peut alors espérer accéder un jour à une conscience d’autrui qui serait autre que théorique, ce qui ferait des propositions d’échange ou d’alliance autre chose que des idéologies ou des dogmes.
Que de conflits, pourtant, dans ce monde des différences comme il se trouve que nous l’avons! Que d’absurdité et que de violence! Ne faut-il pas qu’une action ait lieu, pour s’opposer à ces forces qui ne cessent pas de produire des milliers de systèmes clos? En ce point reparaissent ces rêveries d’une langue originelle qui ont hanté tant d’esprits à travers les siècles. Faut-il s’y intéresser, évidemment pas. Nos ancêtres les plus lointains, dans leurs gîtes précaires, ne parlaient pas une langue voulue par Dieu, adéquate à un monde que celui-ci eût créé. Toutefois, c’est un fait que le langage s’est établi comme le lieu de l’humanité sur terre, avec en son sein de grandes présences, montagnes, arbres, le pain, le vin, qui ont permis et pourraient permettre encore un rapport d’intimité harmonieuse entre la personne et son univers. S’il n’y a pas de langue première, on peut donc trouver du sens et de la valeur à l’idée d’un intelligible qui se constituerait au moyen de grands aspects de la terre, et de leurs noms: un verbe, si j’ose dire, en puissance universel. Et on peut vouloir préserver ce bien, s’il a quelque chance d’être, en faisant qu’il s’adapte aux changements de la société, c’està- dire en l’impliquant dans une parole, évidemment poétique.
Reste que la pensée conceptuelle, qui prédomine dans nos pensées, n’aide guère à distinguer les "vivants piliers" dans le désordre du monde. Et pour que cet intelligible advienne et demeure au filigrane des langues restées diverses, ne faut-il donc pas dans chacune le travail de la poésie mais aussi et surtout celui de sa traduction: cette traduction poétique qui expérimente la disparité des idiointendere mes au plan, précisément, où c’est la pensée conceptuelle qui l’institue et l’aggrave? Une nouvelle "tâche du traducteur ", je reprends un titre fameux, dont le pressentiment est ce qui explique, à mon sens, l’agitation des esprits que je signalais au début de ces remarques. Notre temps commence à comprendre que c’est à la traduction de la poésie qu’il revient d’éclairer la voie de "l’authentique séjour terrestre". Authentique parce que délivré des mythes qui privaient de voir ce qui est dans sa finitude – sa plénitude – essentielle.

X

Mais un mot encore, et pour finir, sur la motivation qui peut soutenir un projet aussi ambitieux. Pour importante que soit la "tâche du traducteur", en effet, rien en elle n’explique suffisamment la décision qui incite quelqu’un à lui vouer son travail et parfois même sa vie. C’est une chose de lire des oeuvres de poètes, même de vouloir les traduire, c’en est une autre de faire de cette traduction une forme de la création poétique et une réflexion sur le devenir de la poésie. Pourquoi ce choix? Qui peut désirer ces difficultés, ces frustrations, même si elles sont fructueuses? Ou plutôt, pourquoi ce désir existet- il, quels aspects de l’existence ordinaire nourrissent-ils ce besoin de scruter les langues, d’y déceler ce qui peut aider d’autres langues à s’approfondir comme poésie?
Eh bien, voici mon hypothèse. Ceux qui décident ainsi ont, dans leur enfance, souffert d’une certaine blessure. L’enfance, à nouveau? Mais pourquoi non, puisque elle est si souvent l’époque où un surgissement de présence a bouleversé le rapport à la parole d’un être alors encore au début de sa recherche de soi? Les conséquences de ce grand choc, c’est bien tout de suite qu’elles ont dû se produire.
Et l’une de ces conséquences, il fallait bien aussi qu’elle se fît sentir dans une situation où l’enfant avait eu jusqu’alors toute sa vie, avec beaucoup d’émotions déjà et de soucis et d’aspirations mal comprises. Je pense à sa relation aux parents, ce père qui lui enseigne la loi et sa pensée conceptuelle, cette mère qui plus fréquemment le garde du côté de l’infini et de l’absolu dans les choses. Quand il est saisi, tout soudain, par une impression de présence, quand il comprend qu’il se voue ainsi à un rapport aux mots de sorte nouvelle, avec un risque de solitude, n’est-il pas évident que le petit enfant va se demander, aussitôt, si ses parents ont été ou restent capables de cette même rencontre? S’il va pouvoir la partager avec eux, alors même qu’ils lui enseignent la langue qu’il sait qu’il doit contester?
Il se tourne vers eux. Mais le père et la mère sont des adultes, ils ont les préoccupations de la vie adulte, ils parlent la langue du réifié et du monnayable, et il y a là de quoi inquiéter. Faut-il penser qu’on ne pourra plus les retrouver à niveau profond, eux ou d’autres? Que ce n’est plus que de loin qu’on pourra les aimer, avec tristesse? Et l’enfant de se demander alors: cette façon que j’ai de voir l’arbre et d’en entendre le nom, mes parents n’en sont-ils pas capables, sauf que, pour quelque raison, ils n’ont pas le désir de le reconnaître? Il va se faire attentif à ce qui pourrait être chez eux l’indice de ce pouvoir gardé tu. Tel propos obscur, tel intérêt dont on ne sait pas la cause, telle façon, parfois, de regarder au loin, de se taire, de s’éloigner silencieux, d’écouter avec quelque trouble une humble chanson, un petit poème, telle façon surtout qu’ont le père et la mère de s’isoler pour parler entre eux, avec des mots qu’on ne comprend pas: tout cela, oui, des signes, que leur observateur passionné estime qui sont les preuves de ce savoir qu’ils n’ont pas voulu partager. Mais pourquoi ce refus, pourquoi avoir laissé la vraie vie au dehors de l’ici et du maintenant du monde?
Et la réponse, logique: c’est parce qu’ici, maintenant, ils ne pourraient parler la langue qu’ils savent, la langue de la présence. S’ils se taisent, c’est parce que la vie les a chassés du pays où cette façon d’exister, de voir, leur avait été et leur fût restée naturelle. Et maintenant on va épier en eux, avec émotion, ce qui paraît un regret du pays natal, et rêver que celui-ci était la terre même de l’être. – J’ai pensé ainsi, pour ma part, je m’en suis souvenu le jour où, lisant Keats – que j’ai fini par traduire – je fus saisi par les vers qui évoquent Ruth lorsque, "sick for home/ She stood in tears amid the alien corn". Cette jeune fille en pleurs, mais fière et droite en pays d’exil, réveilla mon regard d’enfant sur ma mère qui elle aussi, en effet, avait perdu un lieu, une vie ancienne, et en avait le regret.
Rêve d’une expérience de poésie au plus secret d’un autre être. Rêve de se porter en lui jusqu’à ce point où sa voix mystérieuse serait audible, à travers la langue tout extérieure qui a servi de barrage. Puis abandon de cette espérance. Mais l’étonnement et le chagrin n’en restent pas moins à vif.
Et quand, plus tard, voici qu’on se trouve en présence d’une langue encore inconnue, mais où, de loin, on entend parler entre eux, obscurs, des poètes, l’émotion d’autrefois reprend, le souvenir se reforme, de la terre de l’origine: on a désir de se porter dans ces mots étrangers vers ce qu’on rêve à nouveau le secret perdu... Hélas, on le sait aussi, maintenant, il n’y a pas de terre de l’origine. C’est dans les mots d’ici et de maintenant qu’il faut que la poésie s’établisse, et d’ailleurs il n’existe pas de mots qui seraient d’une autre nature: l’anglais ou même le latin, l’italien ou même le grec, sont du même côté que nous dans la relation de la parole et de l’être. Si bien que ces poètes là-bas, dans la profondeur de leur langue, Keats, Virgile, Leopardi, ce ne sont pas nos parents, c’est nous, ce sont des frères avec lesquels il faut partager la tâche de faire advenir où nous sommes la terre de résurrection, notre monde.

I
Gentile pubblico, nel corso degli anni mi sono occupato a più riprese del problema della traduzione della poesia, ma fino ad oggi l’ho trattato avendo in mente le opere da tradurre, e preoccupandomi dei mezzi necessari per tale compito: non sarà questo, oggi, il mio punto di vista. Infatti, adesso vorrei porvi, da traduttori, tutt’altra questione: la natura e gli effetti di un atto – tradurre, tradurre la poesia – in coloro che si votano a tale impresa e la sentono talvolta come una vera e propria ossessione.
È questo, in effetti, uno dei tratti distintivi del nostro momento storico. Quando si parla, oggi, della traduzione poetica, le discussioni si animano, addirittura si infervorano, in libri o convegni cui i filosofi prendono parte accanto ai traduttori veri e propri. Pensiamo a Paul Ricoeur, a Georges Steiner che scrive il suo After Babel1, a Antoine Berman, che dedica tutta la sua troppo breve esistenza ad opere tanto penetranti: L’épreuve de l’étranger2, L’Auberge du lointain3; pensiamo anche alle riflessioni che incessantemente si ripropongono sulla traduzione secondo Hölderlin, sulle speculazioni di Walter Benjamin in "Il compito del traduttore"4, o sull’approccio di Klossowski all’Eneide5. È forse questo solo un bisogno di risolvere un problema senz’altro molto complesso, una curiosità puramente intellettuale? Da parte mia, leggo piuttosto una speranza dietro a questi dibattiti. Una speranza inconscia, o mal formulata, che bisogna dunque cercar di comprendere.

II

Ma, prima di tutto, un’osservazione: per affrontare come si deve il problema della traduzione delle poesie, o, piuttosto, della poesia, bisogna occuparsi immediatamente della questione del significato, la quale richiede uno studio più attento di quello che normalmente le dedichiamo.
Vi è molto di "impensato" nella riflessione sul significato e, in particolar modo, sulla sua funzione ed il suo ruolo nella singola opera. Sembriamo pronti a credere che questa funzione e questo ruolo siano gli stessi in ogni altro uso della parola, e, d’altra parte, è ben comprensibile. Vi sono tanti significati che hanno, con tutta evidenza, un valore come tali per i poeti, nel più profondo delle loro opere. Non dovremmo dunque soffermarci su di essi, concedendo loro la stessa importanza che hanno in un contesto in prosa? Ciò non sembra affatto discutibile, e per mostrare che sottoscrivo questo punto di vista, almeno in certa misura, mi richiamerò a due esempi, due incipit che ci incitano ad entrare subito nel vivo dell’opera attraverso il significato.
Il mio primo esempio è Sailing to Byzantium, di Yeats. Le prime parole di quest’opera sublime sono: "That is no country for old men". Si tratta certo di un "meaning", di un significato se mai ve ne sono, ed anche di uno "statement " che va ad introdurre, lo si percepisce, molte altre affermazioni e scelte di pensiero successive. Ora, sin dalle prime parole, quante suggestioni come stratificate, materia per interpretazioni tra le quali l’intelletto deve operare una scelta, o, quanto meno, mettere ordine! Questo "that", che vale per "no country for old men", questo "qui" che non è un paese per i vecchi, cos’è dunque? La vita in quanto tale, che non tollera la vecchiaia? La civiltà occidentale che non sa più, contrariamente a civiltà più antiche, far posto agli uomini che sono invecchiati, sollecitando la loro presunta saggezza? Oppure: questo mondo che non conosce nient’altro che: "the young" "in one another’s arms", non è forse la nuova Irlanda, votata alla sua rivoluzione, al suo sogno di ringiovanimento, mentre Yeats, da parte sua, ha iniziato ad invecchiare e sta rinunciando a Maud Gonne? Queste poche parole e questo primo verso, pongono dunque una questione sicuramente atta a favorire una riflessione di carattere concettuale; quella che deciderà ciò che è, in definitiva, Bisanzio per il poeta: Bisanzio, l’altra riva che offre forse un bene ignorato nel paese dei giovani.
Molte delle aspirazioni spirituali dell’Occidente, molto del suo immaginario metafisico si scoprono, retrospettivamente e prospettivamente, nella preoccupazione di Yeats che scrive Sailing to Byzantium. Ed ecco allora, trovata per caso, la prova che c’è un significato nella poesia e il traduttore di questa non dovrà far altro che cercare di penetrarlo, per restituire nella sua opera un pensiero la cui importanza era verosimilmente molto grande per il poeta. Insomma, può sembrare evidente che questo "passaggio " sia indispensabile e, addirittura, l’essenziale dell’atto di traduzione: ciò che George Steiner dice a suo modo in After Babel, servendosi di una metafora la cui veemenza fa certamente riflettere: si tratterà di un rapimento, egli dice; la parola è la bella prigioniera che condurremo nel nostro campo, purché la si rispetti, e le si rendano tutti gli onori.
E adesso l’altro esempio, l’altro incipit, tanto più significativo in quanto può apparire di primo acchito tutt’altro che un pensiero articolato, ma semplicemente la cornice di una campagna notturna. La "sera del dì di festa " di Leopardi inizia con questo verso:

Dolce e chiara è la notte e senza vento,
verso che io ho tradotto, accanto a quelli che seguono, con:

Douce et claire est la nuit et sans un souffle
Et paisible au dessus des toits, sur les jardins
S’est arrêtée la lune, qui désigne,
Sereines, les montagnes...6

inversione, questa "serena ogni montagna", che mi sembra accentuare la stabilità, l’immobilità della linea dell’orizzonte nel suo placido respiro. Qui, in questo mondo del solo sguardo, nessun concetto, pare, è portatore d’idee: nient’altro che parole designanti cose. Eppure un pensiero c’è, implicito, ed è essenziale prenderne coscienza. In un momento di penetrante attenzione al mondo visibile, è la bellezza del mondo stesso che è apparsa, e, con la bellezza – quasi detta con queste parole: "dolce", "queta ", "serena" – è come se una promessa di felicità o almeno di pace salisse dalla terra o addirittura cadesse dal cielo, attraverso la grazia di una luna che pare desiderosa di sostare in questo paese.
Subito dopo, nel sublime poema, si lancia un grido di dolore, la natura è accusata di essere la tomba della speranza, la sua bellezza non è più nulla se non l’enigma contro il quale si scontra lo spirito con un immenso sconforto. Conclusione? Queste parole, "dolce", "chiara", "queta", "serena" non sono più, ora, semplici tocchi nell’opera di un pittore paesaggista, ma delle nozioni esse stesse enigmatiche, di fronte alle quali lo spirito ha il dovere di conoscere i suoi limiti. Ed il significato di ciascuno di questi aggettivi, che non sono stati certo scelti a caso, deve essere scrutato sin dall’inizio. Il significato, che évensembrava assente in questi versi, è invece molto attivo, e vi dimora già come una riflessione: quella di un giovane essere sofferente che si posa sulla sua esistenza, ed il fatto di vivere in prima persona le questioni più angosciose.
Il significato è dunque presente in poesia, e persino in forma più complessa di molte opere "in prosa"; vi sono ragionamenti del desiderio o dell’emozione che, quanto a logica e ampiezza di vedute, non valgono meno di quelli del pensiero analitico delle scienze umane o naturali. E queste idee, questi ragionamenti, si devono naturalmente tradurre: uno dei molteplici modi di essere un cattivo traduttore è infatti quello di credere che le opere poetiche non siano altro che montaggi di parole, di cui possiamo limitarci a calcare la figura superficiale, dato che non avrebbero nulla di serio da dire. Conosco molte di queste traduzioni di semplice apparenza, che screditano la poesia.
Ma il fatto di constatare questa evidenza non basta, dal momento che ciò non significa ancora aver deciso qual è il ruolo della significazione nell’operazione poetica, né aver preso coscienza della sua funzione, che è forse ben altro e molto di più della comunicazione di un pensiero. I significati che si intrecciano in un componimento sono dunque ciò che vi è di più chiaro in poesia, e ciò che il traduttore deve restituire come assoluta priorità? Oppure tutti insieme, questi significati, costituiscono nello spazio del poetico un solo livello, il quale potrebbe a sua volta manifestarsi come un atto contrapposto, autonomo della coscienza?
Bisogna senz’altro porsi la questione, che io non trovo invece molto presente nelle riflessioni attuali sulla poesia. E per formularla secondo la prospettiva che io credo giusta, mi sembra corretto definire adesso cos’è la poesia, la poesia come tale: certamente ben altro che un semplice aspetto del discorso.

III

Definire la poesia! Bisogna proprio farlo, penserete. Lo si è fatto così spesso, con pochi risultati apprezzabili. Eppure, ci si dovrebbe forse domandare se questa impresa, senz’altro concettuale, non sia votata a tradire una parola che invece non lo è. Ma io non ho questo timore, e tento di rendervi partecipi di un’idea della poesia.
Lo farò a partire da un’esperienza vissuta, e addirittura vissuta in un quotidiano che appartiene a tutti, a prescindere da ogni pensiero sulla poesia e da ogni progetto di scrittura. Un’esperienza che spesso accade, del resto, durante l’infanzia: momenti in cui qualche cosa, o qualcuno, è lì, davanti a noi, e improvvisamente vi scorgiamo quella che io chiamerò "una presenza", ovvero una densità del loro esserci, un’intensità della loro manifestazione, che trascendono con un’evidenza assoluta, irrefutabile, il nostro probabile desiderio di ridurre queste cose o queste persone ad un pensiero di ciò che esse sono.
Questa cosa – termine così povero, in una tale circostanza – può essere la cima di una montagna, apparsa dietro gli alberi, o una grande quercia isolata, in una radura, o una sorgente in un fossato oppure, semplicemente, il rumore, il debolissimo rumore, di questa stessa sorgente. Questa persona, può essere invece uno sconosciuto scorto da lontano, controluce, ma anche qualcuno dei nostri cari, visto come non lo avevamo mai visto fino a questo momento. Ciò che allora emana dagli uni, come dagli altri, è l’evidenza di un’interiorità, di un’unità; e queste non potranno lasciarsi ridurre alla somma degli aspetti che il pensiero concettuale, secondo il suo modo di procedere, può abbracciare.
Il concetto, in verità, è ciò che isola un aspetto nell’oggetto, gli dà un nome, e attraverso il nome immette questo aspetto in una relazione con altri nomi, che è appunto il significato come tale. In tal modo la realtà esistente è abolita, cancellata dalla nostra coscienza; non esiste infatti nulla che non sia trascendente a ciascuno dei suoi aspetti ed anche alla somma di questi. Di ciò che è, con il concetto, non si conserva che un’immagine. Nell’istante di presenza, in quell’istante sorprendente, l’essere o la cosa nominati si sono invece sgravati della loro immagine. E la realtà tutta intera appare sotto un’altra luce, perché allora constatiamo che gli aspetti sono in numero infinito nella più infima cosa, ma soprattutto che vi si trovano tutti insieme, avviluppati, ed attirano lo sguardo, prima del pensiero. La cosa è lì, sotto i nostri occhi, nel suo "qui" e nel suo "ora"; niente può prenderne il posto, essa è il carattere dell’assoluto – ed è un assoluto che ricade su noi stessi, che in quell’istante la guardiamo. Da una parte comprendiamo di essere, come lei, un "qui" e un "ora": quel che "non si vedrà mai due volte", come ha scritto un poeta. E, d’altra parte, in questa stessa finitezza, in questo non-essere, sentiamo di far corpo con il mondo, di esistere quanto lui e in lui. Donde l’emozione che ci sommerge in questi istanti di presenza. Eravamo un enigma, eccoci oramai un’evidenza.
Mi sono abbastanza attardato a descrivere questa esperienza. Ma solo perché essa è, ai miei occhi, di un’importanza fondamentale. La vedo come il luogo, nello spirito, da cui molte vie si dipartono, ed una di queste è la poesia.
La prima di queste vie? Quella che imboccano i mistici i quali, dopo l’istante di presenza, vogliono evitare di ricadere nel discorso concettuale, temendo che questo cancelli il ricordo dell’avvenimento appena accaduto; e, siccome non c’è parola nella lingua che non sia portatrice di concetti, cercano di affrancarsi dal linguaggio, di tacere nel modo più radicale possibile.
Ma vi è un ostacolo, su questa via: se si rinuncia all’uso della parola si rinuncia anche al rapporto con le altre persone, in un mondo che non ha forma se non attraverso il linguaggio. Possiamo certo non tollerare questa rinuncia, e si tratterà allora di situarsi in un modo d’essere ambiguo, che chiamerò la poesia. La memoria resta, almeno parzialmente, dell’esperienza prima; i concetti tuttavia sono rimasti là, nelle nostre parole – nella nostra parola – e dunque bisogna ritorcere le parole stesse contro le nozioni che ne richiedono l’uso. Una coscienza duale, che sta tra il relativo e l’assoluto, tra la frammentazione e l’unità. Un’impresa che può sembrare contraddittoria. Ma è una ricerca che può nondimeno cominciare, ed anche essere spinta piuttosto lontano.

IV

Il fatto è che il linguaggio presenta una particolarità rilevante. Ossia che le parole – così è – sono portatrici di concetti che assicurano il significato, ma sono anche una materia, all’occorrenza un suono: quello dei fonemi quando li pronunciamo ad alta voce. E questo suono, che è anch’esso fino ad un certo punto un significato, permette di diversificare le parole – di distinguere tra "livre" e "lèvre" – e fornisce le allitterazioni che sottolineano dei pensieri oppure imitano delle percezioni. Così, quando Lamartine scrive che il "rossignol s’enfuit en sifflant"7, compone un gran brutto verso, ma anche un bell’esempio di captazione del suono attraverso il senso. Tuttavia, un altro ascolto del suono delle parole è possibile. Si può intendere il suono indipendentemente da ogni senso, sentirlo nella parola come si vede una pietra sul sentiero: priva di senso, muta, ritirata nel suo in-sé impenetrato e impenetrabile. Si compie allora anche con questo suono – con il suono nascosto sotto il senso – un’esperienza dell’immediatezza. È là, davanti a noi, al di là di ogni significato concepibile, allo stesso modo della pietra bruta.
Vi è nel suono, tuttavia, qualcosa che non è nella pietra. Ossia che l’essere parlante che noi siamo può far corpo con lui senza che debba cessare di essere quel fuori, quell’immediatezza assoluta. Un blocco di pietra può presentare in superficie del rosso, del marrone, del blu e resta, nondimeno, la pietra priva di senso nella quale viene a inciampare lo spirito. Allo stesso modo, il suono vocale ha una diversità percettibile, quella delle vocali e delle consonanti. Ma il colore della pietra ci resta estraneo, mentre la varietà dei suoni può accogliere la nostra voce. Attraverso le possibili ripetizioni di questo o quel dato sonoro, attraverso delle allitterazioni che vi si configurano, ossia dei veri e propri ritmi, la voce può giungere ad abitare il suono nello spazio stesso delle parole. Dunque, che cos’è la voce? L’espressione del nostro pensiero? No, è piuttosto la presenza, sotto di esso, di un corpo tanto immediato quanto quel suono o quel blocco di pietra, per il fatto di essere richiamato dal bisogno di essere o di avere, che lo fanno esistere al di qua delle generalità del concetto. Il suono e la voce si uniscono al di sotto del significoncetto. Ne risulta che la nostra intuizione di presenza può vivere lì, benché tra i significati. Essa può presentarsi al loro tavolo, per denunciarne l’autorità.
E poi? Se i concetti, i significati, non controllano più il nostro sguardo, le cose possono presentarsi come nell’istante fondatore della poesia; diciamo, più modestamente, che si presentano come quando, ad esempio, ci mettiamo silenziosamente sotto gli alberi, al confine di un bosco. Le cose hanno ritrovato la loro immediatezza, la loro unità, in quella stessa parola che le aveva abolite. E la poesia, è questo stesso ricorso al suono per ritrovare la propria memoria della presenza, e la sua storia lo dimostra, confondendosi con quella dei metri, dei versi, delle rime, di tutto quel che fa emergere, nel ritmo e nella musica, il dispiegamento del suono contro quello del significato.
Mi preme tuttavia dire che questa conquista è sempre provvisoria. Anche il corpo è penetrato dai concetti, i desideri stessi vi si accordano, per portare avanti le loro azioni o i loro sogni. Anche la vita ordinaria reclama la sua presenza in poesia, e i significati sono dunque sempre là, con la loro consuetudine: mettere a distanza la finitezza, e reprimerne la conoscenza. L’attestazione della presenza nella parola, presupposto di piena poesia, non dura che un istante, e la poesia tal quale si rivela è, in realtà, più un bisogno di liberazione, che una liberazione vera e propria: un’ostinazione nel ritrovarla quando essa non è che un ricordo di cui si giunge perfino a dubitare. La poesia, è cercare più che trovare, forse essa è addirittura più vera quando cerca, con trasporto, che quando trova; non senza illudersi, talvolta. E la definirò, nel suo insieme, un’attività. Non un testo, dacché l’essenziale è fuori dalla poesia, è nel vissuto. Non uno stato di coscienza, perché le sue gioie sono così instabili e fugaci, bensì un’attività, nella quale svolgeranno il loro ruolo contraddittorio la nostra alienazione attraverso le parole e il nostro bisogno di accedere all’essere.

V

Ho dedicato tanto tempo a definire la poesia, quando dovrei invece parlare della sua traduzione, eppure l’ho definita in modo fin troppo succinto. Ma queste indicazioni mi permettono di ritornare al significato in poesia, e di mostrare ch’esso nasconde un’insidia che rischia di essere fatale al traduttore.
Di significati, espliciti o impliciti, voluti o subiti, semplici o complessi, se ne trovano ovunque in poesia, come ho già sottolineato; e sono spesso della più grande importanza. Ma ciò che noi vediamo adesso, è che essi costituiscono quasi un impedimento alla poesia stessa, la quale ci appare come il rinnegamento del concetto a vantaggio di un’intuizione di presenza, di uno sguardo sull’immediato e sulla finitezza, mentre i significati sono il concetto stesso, ovvero la mediazione, la generalizzazione, l’oblio del tempo, della morte. Il significato è necessario alla poesia, perché questa è pure un fatto sociale, una parola rivolta ad altri esseri. Ma esso è anche ciò che l’acceca, e il progetto poetico non può, dunque, che denunciarlo mentre lo impiega, in un’azione dialettica che attraversa le sue parole e ne aggiusta la mira. – Allora, che cosa potrà fare il traduttore? Come potrà rivivere ciò che non è formulazione ma conflitto? Ciò che non è un testo, ma il movimento che lo ha prodotto, e che vale soltanto per le tracce lasciate dalla sua speranza delusa?
Di questi significati, tuttavia, bisogna che il traduttore se ne occupi e poche parole bastano a ricordare i pochi mezzi che egli ha, per comprenderli e restituirli. Infatti, ad esempio, i concetti che li costituiscono non si ritrovano mai completamente identici nella lingua che usa: questi scarti, per quanto minimi possano apparire in prosa, bastano per disorientare, in poesia, il pensiero ed il sentimento. Degli esempi? "Speech", in inglese – o "speech-act"! – sono evidentemente travalicati dalla nostra "parola"; una nozione che in francese è radicata nella vita di tutti i giorni, con le sue emozioni, i suoi sogni, le sue speranze. "Obvious" sarà "évident", ma come un ragionamento può esserlo; e neanche la nostra "évidence" francese, che è l’auto-proclamazione dell’identità a se stessa di una cosa, ha un equivalente in inglese. Come dire in inglese, con una sola parola simile, "l’évidence" di un grande momento della vita, o semplicemente dello splendore del cielo serale? E nella lingua di Keats ma anche in quella di Locke o di Hume non sono solo i concetti ad essere diversi dagli idiomi di matrice latina, è la concettualizzazione come tale che si situa in altro modo nella coscienza. I concetti in inglese immaginano meno dei nostri di esprimere direttamente la natura intima – l’essenza – degli avvenimenti o delle cose, e preferiscono prenderli dal di fuori; per questo hanno maggior vocazione all’empirismo nelle scienze.
E pensiamo anche alle contaminazioni dei concetti da parte del loro contesto linguistico o culturale, o climatico. Come "spring" in inglese, la primavera, una parola che può farsi concetto quando si tratta di comprendere le necessità della vita, le epoche dell’esistenza, i sentimenti, o il divenire delle culture. L’idea della primavera è senz’altro importante ovunque nel mondo. Il termine italiano "primavera " suscita, anch’esso, molte emozioni, ed anche il nostro povero "printemps", così poco evocativo, è ben accolto tra i poeti. Ma come rivaleggiare con "spring", che significa anche "sorgente"? E, tra sorgente e primavera, sta la presenza attiva di un verbo, "to spring", a dire la loro origine comune, mentre dicendo si dispiega quello stesso sgorgare e la brusca irruzione di ciò che è nascosto? "Spring", "springtime", così importanti e oltretutto così dominanti nella poesia inglese: come in epoca elisabettiana, quando le feste di maggio ed altri riti e danze della religiosità popolare erano ancora vivi. Tradurre "spring" o "springtime" con "printemps", è come perdere molte canzoni del rinascimento inglese o del folklore irlandese. E se per caso il traduttore si mette ad ascoltare, in queste canzoni, suoni e ritmi, altre difficoltà si presentano, delle quali, mi pare, non si è abbastanza preso atto. In questo ambito dei suoni, che sono sempre in stretto rapporto con il senso, non vi è nessuna possibilità di trasposizione reale da una lingua a un’altra: soltanto vaghe somiglianze, che ingannano chi non sa né ascoltare né comprendere. Dicendo questo, penso al Corvo, il celebre componimento di Edgar Poe. È chiaro che questa meditazione sul nulla ha per esperienza originaria due o tre suoni; Poe sentiva ripercuotersi nei versi come degli echi in stanze vuote, a suggerire un mondo dove non c’è altro che la morte, l’assenza, il nulla. Al primo posto, tra questi suoni, c’è "ore", così bello, tra l’altro, e così ben collocato in questa poesia a favorirne l’intuizione; giacché è "ore" che risuona nella porta, percossa da una presenza sconosciuta, the chamber door, o che evoca vecchie credenze enigmatiche, quelle dei volumes of forgotten lore, o che chiama tutte le vite a al terrore della notte – è allora the Night’s Plutonian shore –; e che, soprattutto, risuona nella parola Nevermore, "mai più", fatidicamente ripetuta. È intorno a questo suono, "ore", che tutto si gioca, ma cosa se ne potrà ricavare nella traduzione del Corvo? Dovremmo, anche in francese, ricorrere a dei suoni in ore, se per caso se ne trovassero in parole che si prestano alle stesse evocazioni? Ebbene, il Francese che fu più incantato dal Corvo, un poeta grande almeno quanto Poe, Mallarmé, notò il suono "ore" e lo adottò anche lui, nel suo non meno celebre "sonetto in –yx". Questo sonetto è notturno e penetrato dal pensiero del nulla quanto il componimento americano, che ne fu del resto la causa prima; e si potrebbe dunque ritenere che le rime in "ore" producano nel "sonetto in –yx" gli stessi effetti che in Edgar Poe.
Ma non è affatto così! Le rime in "ore" in Mallarmé sono: lampadophore, una parola pressoché inventata, di nessuna risonanza affettiva, amphore, sonore, che fanno piuttosto pensare alla Grecia antica e alla sua luce, e infine la forma verbale s’honore: nulla dunque che suggerisca una qualche idea funebre, o sepolcrale. E nelle terzine, subito dopo questi primi occorrimenti, il suono "ore", che non scompare, si racchiude in "or" per altre quattro rime; centrate, queste, sull’idea dell’oro, il metallo sterile, e su quella del septuor, forma pura: ossia su un intelletto per il quale la realtà è fatta di essenze, di strutture intelligibili. Esattamente il contrario delle associazioni vaghe e tenebrose sorte dall’inconscio del poeta americano. Il suono che, in quest’ultimo, apriva all’ignoto, suscitando l’impressione di un’inquietante estraneità – angoscia metafisica, terrore – diviene in Mallarmé ciò che nega ogni miraggio, ciò che tenta di cauterizzare l’inquietudine suscitata dal Corvo. Mallarmé ha percepito che i suoni non si espatriano. E quando tradurrà le poesie di Edgar Poe, riterrà sensato rinunciare all’apporto dei suoni e dei ritmi. Tradurrà Poe in prosa.
E, d’altra parte, come avrebbe potuto Mallarmé fare dei ritmi un mezzo della sua traduzione, essendo il francese una lingua poco accentuata, dove la forma è creata in poesia – così è stato almeno per lungo tempo – attraverso il conto delle sillabe? Mentre l’inglese, che ha gli accenti molto distintamente marcati, permette il giambo, sillaba breve seguita da una lunga, che reca l’accento: una sorta di passo, di decisa avanzata, che permette una relazione diretta, questa volta, con l’esperienza del tempo, non quello degli orologi, ma della vita. La poesia in francese va dall’atemporalità verso il tempo; quella inglese nasce nel tempo esistenziale e lì dimora.
Insomma, quanti impedimenti, ad ogni livello di significato, ed ora la difficoltà fondamentale: quella di dover trattare lo stesso significato, ben tradotto o meno, come l’ostacolo che il poeta ha dovuto sormontare nei suoi versi per accedere alla poesia! Siamo sul punto di domandarci se la traduzione della poesia è possibile; se vale la pena di intraprenderla.

VI

Ma smetto adesso di pensare alla poesia o al poeta per prendere in considerazione il lettore, terzo termine dell’evento poetico.
Essere un lettore, un vero lettore, che cosa significa? Aver vissuto, come il poeta stesso, uno di quei momenti che ci permisero di vedere in modo diverso rispetto agli stati ordinari della coscienza. Dopo di che, come sempre accade al poeta, si è compreso che il pensiero concettuale era un impoverimento dello sguardo e si è sognata una parola più piena. Il lettore assiste, nelle poesie che legge, a questa trasgressione della concettualità che ha auspicato. Egli non è la causa di tale trasgressione, può persino temere di non avere, per quanto lo riguarda, l’energia per assolvere questo compito, ma è in ogni caso in grado di seguirne il movimento, di riconoscerne i progressi e i cedimenti, di condividerne la speranza; e ciò, molto in profondità. Infatti, l’opera è stata da principio l’ascolto di un suono, l’adesione ad un ritmo, l’implicazione della voce nella parola. E anche lui, il lettore, ha un corpo, una voce. È a mezza voce, più che con i suoi occhi, che legge.
Il che garantisce d’altra parte un sovrappiù d’intimità con la voce stessa. Si può pensare che il pensiero del poeta si conceda al lettore, dacché è nel testo stesso, e non prima di esso, che il pensiero vive le sue speranze, mentre constata e medita le sue sconfitte. L’opera è il diario di un rapporto con il proprio sé, anche quando tenta di non esserlo. Il poeta vi confessa ciò che nella sua vita, al di fuori dell’opera, nasconderebbe agli altri o in ogni caso non arriverebbe a dire
Il lettore ha accesso al pensiero, diciamo pure all’essere, dell’autore, e ciò è eccezionale nel rapporto tra le persone. Noi ci tratteniamo, infatti: davanti a noi stessi così come davanti agli altri. E se diversamente accade nel rapporto d’amore, tutto resta molto ambiguo e fragile.
L’amore è, e in ogni caso dovrebbe essere, il riconoscimento dell’altro nell’assoluto del suo hic et nunc; ed è dunque anche il desiderio di essere, a se stessi, una vera presenza, aperta a delle intuizioni abitualmente represse. Ma l’essere che ama è spesso prigioniero di un’idea di sé che si proietta sull’oggetto d’amore, sostituendovi un’immagine. E questo altro, non è forse altrettanto portato a chiudersi nelle sue parole, di cui è il solo a possedere la chiave? Per scongiurare questi malintesi l’amore ha bisogno di un’intensità che è rara quanto i grandi momenti della poesia.
Ed ecco quel che conferisce allora al lettore uno statuto singolare nel rapporto sociale: egli è – o almeno può essere – colui che, andando verso l’altro, e prestandosi a delle parole che questo altro aveva scritte allora senza un interlocutore, comprende il bisogno di scambio, lo assume, ed assicura così ad un essere, lo scrittore, il poeta, quella presenza piena che l’intuizione poetica ha incontrato, più brevemente, nel mondo. Il lettore traspone ad un rapporto di parola l’avvenimento che aveva colto di sorpresa il linguaggio. Dopo il suono nella parola, egli è la seconda opportunità del poeta, che lo previene, e che lo chiama – "hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère"8 – nel campo della sua scrittura: a volte, purtroppo, per tentare di soffocarne le esigenze.
Ma non è stato detto tutto da tale punto di vista che è, in definitiva, quello della circolazione del poetico in un rapporto sociale per il quale il poeta ha rinunciato a farsi mistico.
Resta il fatto che se il lettore può così partecipare alla ricerca tentata dal poeta a partire da un’esperienza primaria che entrambi hanno avuto, egli è, quanto il poeta stesso, incapace di sentirla come essa merita: ovvero con i mezzi di intensificazione e di verifica che gli procurerebbe la sua facoltà poetica se egli la esercitasse come forse potrebbe e fin dove sarebbe necessario, nel contesto della sua stessa vita. Il pieno ascolto esige la consapevolezza della nostra identità, ad un livello profondo in cui è stato ripreso contatto con il sentimento della finitezza. E perché questo avvenga bisogna impegnarsi in un lavoro di scrittura – di rimessa in gioco di sé attraverso l’ascolto delle parole, il risveglio della voce, e la parola restituita all’intuizione di presenza nella vita più personale – che questo momento di semplice lettura non permette.
Ne consegue, d’altra parte, che per quanto il lettore sia consapevole di quella poesia e percepisca la volontà che vi sottende, si ritroverà subito, dopo la lettura, dentro al suo codice abituale, nel quale la concettualità predomina, e non potrà pensare all’opera letta, o renderne partecipi gli altri, se non come fanno i critici: già cala, sull’esperienza prima, quello sguardo che le fa correre il rischio di essere percepita dal di fuori, di diventare oggetto d’analisi. Questo lettore divenuto critico va ad interessarsi, diciamo, alle idee del poeta invece di restare all’interno delle sue parole.

VII

Sì, ma perché queste osservazioni, sul lettore della poesia? Perché esse ci conducono al cuore del nostro problema, quello della traduzione.
Immaginiamo, infatti, che questo lettore si trovi in presenza di un testo scritto in una lingua straniera; e che si proponga di offrirne una traduzione che preservi il suo carattere poetico. Si verificherà una situazione di incontro, al tempo stesso intima e limitata, analoga a quella che ho appena descritto nel caso di un lettore che parla la stessa lingua del poeta, o che non pensa affatto di tradurlo? No, assolutamente no. L’ostacolo che impediva la piena lettura, infatti, è scomparso, o per lo meno potrebbe sparire. Decidendo di tradurre la poesia, la poesia come tale, il lettore in questione – colui che sa che cos’è la poesia – ha di certo in mente l’importanza del suono e dei ritmi, e dunque il ruolo fondamentale della scrittura. Sa che la poesia è un atto, e che quello si deve tradurre. Ed ha dunque compreso che ciò sarà possibile solo laddove egli stesso, cessando di essere un ricettore passivo e votato alla sola comprensione intellettuale, prenderà in mano la propria esistenza: in una scrittura che adesso è la sua, mentre a quella del poeta che intende tradurre spetterà il ruolo di visitatore accolto, di guida. Il traduttore della poesia deve essere un poeta, con gli stessi obblighi verso se stesso dell’autore. È proprio per questo che egli non è il lettore ordinario, colui che non pensa a tradurre. È altro. Di più? Diciamo che si prefigge un compito più esigente.
Intendiamoci, però. Sono ben lontano dal pensare che un rapporto necessariamente profondo si stia stabilendo, tra questo traduttore che si vuole poeta, e l’autore, per il semplice fatto che sia stata presa una tale decisione. Il traduttore ha evidentemente dei limiti, nella sua capacità di poeta, che si rivelano ben presto, dopo il primo istante. D’altronde egli si scontrerà, anche a questo livello di scrittura, con le disparità che esistono tra le lingue, il che può impedirgli di comprendere il testo originale, meno nella sua letteralità che come occasione di simpatia, di complicità. L’opera può avere, in questo stato di ascolto più interiore, di che respingerlo, scoraggiarlo. Ma non è questo il problema.
Quel che importa, infatti, dal punto di vista che cerco di sostenere, è questa intimità accresciuta, che sia o meno a rischio di malintesi o fallimenti. Essa permette infatti una presa di coscienza che in nessun altro modo è garantita nella comunità dei poeti; uno sguardo sui fondamenti dell’atto poetico sufficiente a conferire a questa impresa, la traduzione poetica, sotto molti aspetti così deludente, un valore ed un’importanza considerevoli che potrebbero addirittura, un domani, diventarlo ancora di più.
Perché tutto questo, qual è l’apporto specifico della traduzione che vuol essere d’un tratto scrittura; d’un tratto ricerca di poesia? Osserviamo, per cominciare, il luogo in cui si stabilisce – chiunque sia il traduttore – la relazione tra chi traduce e ciò che traduce. Un traduttore, è colui che deve leggere come di solito non si fa. Deve applicarsi ad ogni dettaglio, sia esso una metafora oscura, o un passaggio non curato, corrotto; non abbandonerà questo enigma finché non lo avrà chiarito; e per far questo consulterà lessici specifici ed edizioni critiche, ascolterà qui o altrove l’opinione del maggior numero possibile di esegeti, interrogherà gli amici. Un traduttore, in altri termini, si arresta sempre, o torna indietro. E, a volte, lo fa la notte come il giorno, in mezzo ad altre occupazioni; donde l’affezione, spesso, per quest’opera vissuta a lui così vicina, ed il desiderio di restare in sua compagnia: sono molti coloro che lo fanno fino all’ultimo giorno della loro esistenza.
E se il traduttore è poeta, ossia condotto, dentro l’opera, alla sua idea di poesia, desideroso di penetrarne il segreto, quale sovrappiù d’ascolto queste forme concrete del suo lavoro gli garantiranno! Questo è un evento della sua vita più quotidiana, la quale diventa naturalmente la fonte delle sue decisioni più essenziali, dove la sua finitezza stessa è in azione. E la lettura dell’altro si unisce dunque alla lettura di sé, in un piano in cui si rivela al meglio quel che in una vita di poeta sostiene e definisce le scelte di scrittura. L’autore può essere presente al suo interprete a tutti i livelli della sua vita, anche i meno eroici. I significanti delle sue poesie, che avrebbero potuto rimanere inespressi, si chiariscono. Ciò non può che facilitare la presa di coscienza che io considero fondamentale.
E come caratterizzare quest’ultima? In poche parole: quello che ho a più riprese indicato come ostacolo alla traduzione di opere poetiche – ossia i concetti della lingua in cui esse sono scritte, il modo con cui si rapportano alla realtà, le loro reciproche relazioni, il tutto essendo estraneo alla lingua del traduttore –, si rivela essere la sua grande opportunità. Le differenze scoraggianti, dal punto di vista dell’opera che si deve produrre come riflesso presunto dell’originale, divengono delle occasioni di pensiero ed anche di maturazione poetica. Ma perché? Perché di fatto la comparazione tra le strutture concettuali di due lingue, o di altre ancora, se diretta a buon fine, è ciò che permette di smontare gli artifici del pensiero concettuale stesso. Infatti, le pretese di assoluto di quest’ultimo, quanto a conoscenza della vita, non possono che crollare quando una lingua viene a testimoniare che quelle stesse strutture sono soltanto abitudini dell’altra lingua. Ecco, insomma, l’utile sostegno della traduzione: la conferma poetica che i sistemi di rappresentazione concettuali non sono altro che dei mondi-immagini, nei quali si è dileguata la pienezza dell’essere. La traduzione non è altro che la resa incerta di una poesia? No, essa è l’occasione di pensare alla poesia, di comprenderne il percorso, di indicarne la necessità, di lavorare alla sua rinascita, laddove questa necessità rischiava di essere dimenticata. Essa può recare questa testimonianza e indicare questo percorso in modo convincente, perché è in una scrittura di poeta, attraverso un’esistenza, ch’essa avrà acquisito quei pensieri, e non per semplice filosofare.

VIII

Dovrei spiegarmi meglio, sulle situazioni in cui la traduzione feconda l’analisi delle differenze? Certamente, e fare subito anche qualche esempio. Seguire, dunque, qualche traduttore, magari francese, quando constata che la strada da lui presa spontaneamente, si vede messa in discussione, rifiutata, da un grande poeta; il che obbliga ad interrogarsi sul senso della vita, sul modo di essere, ed a volte a spingersi lontano, nel proprio pensiero e nella propria scrittura, con una riflessione su di sé e sul mondo.
Traducendo Shakespeare ho dovuto, per quanto mi riguarda, affrontare la questione dell’accettazione, da parte dell’autore di Amleto, di immagini quanto mai triviali nel corpo stesso della parola tragica, il che rivela un rapporto tra concettualizzazione e il mondo completamente diverso da quello del teatro di Racine, ed anche da quello di Victor Hugo o di Claudel: ciò ha significato mettere in discussione molte cose a partire dalla mia interpretazione del classicismo; essere costretto a confessare i suoi torti, rivedendo perfino alcuni aspetti della mia stessa vita. Altri casi di simili contrasti tra modi d’essere, cui seguono certe decisioni, potrei e dovrei menzionarli; sono numerosi nella storia della traduzione, così come nella mia esperienza: ma il tempo, oggi, mi manca.
Perciò, sarò più rapido, con due osservazioni sulle conseguenze che si debbono trarre da questo apporto della traduzione, nel contesto del pensiero della nostra epoca. Da una parte, per il fatto che l’epoca è quella che è, un misconoscimento piuttosto generale dell’atto poetico, non ci sarà mai troppa riflessione, neanche da parte del traduttore che ne è capace. Sicuramente, egli deve in primo luogo essere se stesso, nel senso più concreto del termine, e al centro dei fatti della sua stessa vita; è del resto il solo modo possibile, come ho detto, di volgersi, mediante la scrittura, verso la comprensione del fatto poetico dentro all’opera che si ascolta. Ma il bisogno della poesia moderna non è quello di esplorare una soggettività quanto quello di porre la questione della presenza, poiché essa è la sola oggi a poterlo fare, ai margini di religioni saturate dai loro miti. È dunque dovere dei poeti osservare e dire quanto più precisamente e compiutamente possibile il luogo e i percorsi del loro atto poetico. Ed anche il traduttore, poeta nella sua traduzione, deve spingersi altrettanto lontano nell’esame di un lavoro che è l’oggetto della sua stessa officina nonché l’espressione della sua affezione per un’opera. Ogni traduzione è un pensiero, che dovrebbe essere esplicitato ai margini della scrittura propriamente detta.
L’altra osservazione: non bisognerà aspettarsi dalla traduzione, viceversa, quel che essa non può dare. Innanzitutto, la fedeltà letterale. Se per comprendere una poesia il traduttore deve fare i conti con la persona ch’egli stesso è, questa interferirà con il testo della poesia stessa e ciò creerà dei gorghi di senso, ma la ricerca ha una stessa mira nei due testi e si può essere certi che ciò che conta nell’opera sarà stato riconosciuto, e in profondità, al termine del lavoro. Nessuna disinvoltura: ma una sola, autentica, serietà. E non si dimentichi neppure come la poesia si fa intendere. Non ad una lettura saggia, quella che va dalla prima all’ultima parola di un libro, ma a quella di versi isolati, di immagini che spiccano dalle pagine, che abbagliano: e di un vocabolario che spesso sconcerta senza che se ne comprenda il senso. La poesia non è tanto un testo quanto una materia che irradia la sua luce. Ed è con una materia analoga che il traduttore deve rispondere alle aspettative del suo paese e della sua epoca.
D’altra parte, si farà in modo che tali aspettative non costituiscano un programma, uno scadenzario. I traduttori, impegnandosi ad essere poeti, saranno altrettanto imprevedibili e poco numerosi quanto lo sono i poeti. E dunque ci si dovrà rassegnare a non vedere una certa grande opera tradotta al momento in cui lo si vorrebbe, da parte di un certo traduttore. Si dovranno invece prevedere, accanto a delle traduzioni-poesie, degli approcci di metodo che troveranno la loro qualità, la loro grandezza, nel far tesoro di tutto ciò che nell’opera costituisce il materiale del poetico: lavorare insomma sul significato come tale, affrancandolo dagli enigmi che i dizionari, o qualche avvenimento di quel momento storico, gli accollano dall’esterno.
Queste traduzioni ‘scientifiche’, e ne conosco alcune ammirevoli, sono sicuramente necessarie per svariati bisogni dello spirito. Bisognerebbe soltanto che esse accentuassero il loro valore esplicativo con un apparato di introduzioni e di note, il quale costituirebbe il perfetto complemento delle traduzioni immediatamente poetiche. Tanto più che tra le prime e le seconde, tra fatti di lingua e verità di parola, si potrebbe anche auspicare una relazione veramente dialettica.

IX

Al principio di queste riflessioni, ho forse lasciato idiointendere che il traduttore della poesia debba subire la lingua del testo originale nella misura stessa in cui l’ama. Tante sono le difficoltà che gli derivano dalle differenze tra questa lingua e la sua, nel punto in cui la poesia si cerca! Ma posso forse fermarmi a questo pensiero? Certamente no. In primo luogo, ho appena detto che queste difficoltà sono di fatto un’opportunità. Benché esse privino il traduttore della letteralità del testo, gli aprono la strada ad un pensiero della poesia.
E gli offrono ben altro. Immaginiamo, infatti, che vi sia una sola lingua: come "prima di Babele", se vogliamo usare questa metafora. Una unica struttura concettuale regnerebbe allora senza riserve nelle menti umane, con funesti risultati. Dal concetto formulato risulterebbe l’oblio della finitezza e della sua coscienza esistenziale, la reificazione dell’altro e di ogni cosa, la smania di avere, di possedere, l’orgoglio di averlo fatto o di essere in grado di farlo: un totalitarismo, immanente a ciascuno, e tutti in una società priva di speranza. Tanto meglio, dunque, se vi sono lingue diverse. Prendendo atto delle differenze si può infatti sperare di accedere un giorno ad una coscienza dell’altro che non sia teorica: il che farebbe di ogni proposta di scambio o di alleanza qualcosa che esula dalle ideologie o dai dogmi.
Quanti conflitti, però, in questo mondo delle differenze così come ci è stato dato! Quante assurdità e quanta violenza! Non è forse necessario che un’azione si compia, per poterci opporre a delle forze che producono incessantemente migliaia di sistemi chiusi? A questo punto ricompare il miraggio di una lingua originale, che tanti animi ha tormentato attraverso i secoli. Che valga la pena di prenderlo in considerazione, è da escludere. I nostri più remoti antenati, nei loro rifugi precari, non parlavano una lingua voluta da Dio, adeguata ad un mondo che costui avrebbe creato. Tuttavia, è un dato di fatto che il linguaggio si è attestato come il luogo dell’umanità sulla terra, con grandi presenze ivi riposte: montagne, alberi, pane, vino, che hanno permesso e potrebbero ancora permettere un rapporto di armoniosa intimità tra la persona ed il suo universo. Se dunque non c’è una lingua prima, si può trovare senso e valore nell’idea di un’intelligibilità che si costituirebbe attraverso grandi presenze della terra, e dei loro nomi: un verbo, oserei dire, potenzialmente universale.
E si può senz’altro preservare questo tesoro, se ha qualche possibilità di esistere, facendo in modo che si adatti ai mutamenti della società, ossia implicandolo in una parola che sia poetica.
Sussiste il fatto che il pensiero concettuale, dominante nelle nostre riflessioni, non aiuta affatto a distinguere i "vivants piliers"9 nel disordine del mondo. E affinché questa intelligibilità abbia luogo e si conservi come un filone unico sotteso alle lingue rimaste diverse, non è forse necessario in ciascuna di esse il lavoro della poesia, ma anche e soprattutto quello della sua traduzione: di una traduzione poetica che sperimenta la disparità degli idiomi là dove il pensiero concettuale stesso la istituisce e la aggrava? Il presentimento di un nuovo "compito del traduttore ", riprendo un titolo famoso, è ciò che spiega, a mio vedere, l’agitazione degli animi che ricordavo all’inizio di queste riflessioni. Il nostro tempo comincia a comprendere che la traduzione della poesia ha il dovere di indicare il cammino dell’"authentique séjour terrestre"10. Autentico perché alleggerito dai miti che impedivano di vedere ciò che è nella sua finitezza – nella sua pienezza – essenziale.

X

Ma ancora una parola, in conclusione, sulla motivazione che può sostenere un progetto così ambizioso.
Per quanto importante sia il "compito del traduttore", infatti, niente di tutto questo può spiegare a sufficienza la ragione che incita qualcuno a dedicargli il proprio lavoro ed a volte la vita intera. Una cosa è leggere le opere dei poeti, o anche volerle tradurre; un’altra è fare di questa traduzione una forma di creazione poetica ed una riflessione sul divenire della poesia. Perché questa scelta? Chi può desiderare queste difficoltà, queste frustrazioni, quand’anche fossero fruttuose? O piuttosto, perché esiste questo desiderio, quali aspetti dell’esistenza ordinaria nutrono il bisogno di scrutare le lingue, di scoprirvi ciò che può aiutare altre lingue ad approfondirsi come poesia? Ebbene, ecco la mia ipotesi. Coloro che decidono questo hanno, nella loro infanzia, sofferto per una certa ferita.
L’infanzia, di nuovo? Ma perché no, se essa è così spesso l’epoca in cui l’improvvisa origine di una presenza ha sconvolto il rapporto con la parola in un essere ancora all’inizio della sua ricerca di sé? Le conseguenze di questo grande turbamento si sono di certo immediatamente manifestate.
Una di queste conseguenze dovette farsi sentire al momento in cui il bambino, che aveva goduto fino ad allora della sua vita in modo integro, già conosceva emozioni, preoccupazioni e aspirazioni mal comprese. Penso al suo rapporto con i genitori, con un padre che gli insegna la legge ed il pensiero concettuale, e una madre che più frequentemente lo preserva nell’infinito e nell’assoluto delle cose. Quando egli è còlto, improvvisamente, da un’impressione di presenza, quando comprende che si sta così votando ad un rapporto del tutto nuovo con le parole rischiando la solitudine, non è forse evidente che il piccolo si chiederà, immediatamente, se i suoi genitori siano o restino capaci di questo stesso incontro? Se potrà condividerlo con loro, nel momento stesso in cui gli insegnano la lingua che sente di dover contestare?
Egli si volge verso di loro. Ma il padre e la madre sono degli adulti, hanno le preoccupazioni della vita adulta, parlano la lingua delle cose reificate e monetabili, e c’è, in questo, di che inquietare. Bisogna pensare che non si potranno più ritrovare, loro o altri, ad un livello profondo? Che dobbiamo amarli solo da lontano, con tristezza?
E il bambino si chiederà, allora: di questo modo che io ho di vedere l’albero e di sentirne il nome, i miei genitori non sono capaci; a meno che, per qualche ragione, non abbiano il desiderio di riconoscerlo? Si farà attento a quello che in loro potrebbe essere l’indizio di un potere sottaciuto. Una certa intenzione oscura, un certo interesse di cui non si conosce la causa, un certo modo, a volte, di guardare lontano, di tacere, di allontanarsi silenziosi, di ascoltare con qualche turbamento un’umile canzone, una poesia, e soprattutto il modo con cui il padre e la madre si isolano per parlare tra loro, con parole che non si comprendono: tutti questì, sì, sono segni, giudicati dal loro appassionato osservatore come prove di un sapere che non hanno voluto condividere. Ma perché questo rifiuto, perché aver lasciato la vera vita fuori dal qui e dall’ora del mondo? E la risposta, logica: è perché qui, ora, non potrebbero parlare la lingua che sanno, la lingua della presenza.
Se tacciono, è perché la vita li ha cacciati dal paese in cui questo modo di esistere, di vedere era stato loro, e sarebbe rimasto, naturale. E adesso si viene a spiare in loro, con emozione, quel che appare come un rimpianto del paese natale, e a sognare che quella era anche la terra dell’essere. – Ho pensato questo, da parte mia, e me ne sono ricordato il giorno in cui, leggendo Keats – che ho finito per tradurre – sono stato colpito dai versi che evocano Ruth, quando "sick for home / She stood in tears amid the alien corn"< a href="#11">11. Questa fanciulla in lacrime, ma fiera e diritta in un paese straniero12, risvegliò il mio sguardo di bambino su mia madre che aveva anch’essa perduto un luogo, una vita antica, e ne aveva il rimpianto. Sogno di un’esperienza di poesia nel più intimo di un altro essere. Sogno di spingersi in lui fino al punto in cui la sua misteriosa voce sarebbe udibile, attraverso la lingua superficiale che ha fatto da ostacolo. Poi, abbandono di questa speranza. Ma lo stupore ed il dolore restano, nondimeno, vivi.
E quando, più tardi, ci si trova in presenza di una lingua ancora sconosciuta ma dove, di lontano, si sentono parlare tra loro, oscuri, i poeti, l’emozione d’un tempo si rianima, il ricordo si ricrea, della terra d’origine: si è còlti dal desiderio di spingersi, attraverso queste parole straniere, fino a dove si sogna di nuovo il segreto perduto...
Ahimé, lo sappiamo bene adesso, non esiste una terra d’origine. È nelle parole di qui e di ora che la poesia deve dimorare, e d’altra parte non esistono parole che siano di un’altra natura: l’inglese o anche il latino, l’italiano oppure il greco, stanno dalla nostra stessa parte nel rapporto tra la parola e l’essere. Eppure, quei poeti laggiù, nella profondità della loro lingua, Keats, Virgilio, Leopardi, non sono i nostri parenti ma siamo noi; infatti, sono fratelli con i quali dobbiamo condividere un compito: l’avvento, nel luogo dove siamo, di una terra di resurrezione, il nostro mondo.

(Traduzione e note di M. Landi)

NOTE
1 G. Steiner, After Babel [Oxford, 1975]. Trad. it. Dopo Babele. Il linguaggio e la traduzione, Firenze, Sansoni 1984.
2 A. Berman, L’épreuve de l’étranger. Culture et traduction dans l’Allemagne romantique. Paris, Gallimard 1984. Trad. it. a cura di G. Giometti, Macerata, Quodlibet 1997.
3 A. Berman, La traduction et la lettre ou l’Auberge du lointain, Mauvezin, Trans-Europ-Repress Ed. 1985; Paris, Seuil 1999.
4 W. Benjamin, Die Aufgabe des Uebersetzers (introduzione alla traduzione dei Tableaux parisiens di Baudelaire, 1923, poi in Schriften, 1955). Trad. it. Il compito del traduttore, in Angelus novus, Torino, Einaudi [1962] 1995, pp. 39-52.
5 P. Klossowski, Énéide, Paris, Gallimard 1964. A proposito di questa traduzione, si veda il bellissimo capitolo di A. Berman, nel già citato saggio: La traduction et la lettre ou l’Auberge du lointain [1999], pp. 115-142.
6 Ricordiamo il testo originale della quartina leopardiana: "Dolce e chiara è la notte e senza vento / E queta sovra i tetti e in mezzo agli orti / Posa la luna, e di lontan rivela / Serena ogni montagna".
7Il verso di Lamartine è tratto dall’episodio del poema Jocelyn (1836) che ha per titolo Les laboureurs: "La sonore vallée est pleine de leurs voix; / Le merle bleu s’enfuit en sifflant dans les bois, / Et du chêne à ce bruit les feuilles ébranlées / Laissent tomber sur eux les gouttes distillées" (vv. 97-100).
8 Si tratta del verso finale di Au lecteur, componimento inaugurale delle Fleurs du mal di Baudelaire. Cf. Ch. Baudelaire, I fiori del male, Virgile, Leopardi, ce ne sont pas nos parents, c’est nous, ce sont des frères avec lesquels il faut partager la tâche de faire advenir où nous sommes la terre de résurrection, notre monde. la parola e l’essere. Eppure, quei poeti laggiù, nella profondità della loro lingua, Keats, Virgilio, Leopardi, non sono i nostri parenti ma siamo noi; infatti, sono fratelli con i quali dobbiamo condividere un compito: l’avvento, nel luogo dove siamo, di una terra di resurrezione, il nostro mondo. (Traduzione e note di M. Landi) trad. di A. Prete, Milano, Feltrinelli 2003, pp. 32-33.
9 Si fa qui riferimento alle celebri Correspondances di Baudelaire: "La Nature est un temple où de vivants piliers / Laissent parfois sortir de confuses paroles; / L’homme y passe à travers des forêts de symboles / Qui l’observent avec des regards familiers". Cf. I fiori del male, ed. cit., p. 43.
10 Bonnefoy si richiama ad un passo di Mallarmé, tratto dal Richard Wagner. Rêverie d’un poète français: "L’Homme, puis son authentique séjour terrestre, échangent une réciprocité de preuves" (S. Mallarmé, Richard Wagner, in OEuvres complètes, coll. "La Pléiade", Paris, Gallimard 1945, p. 545). Una formulazione analoga si riscontra in una definizione della poesia che Mallarmé propone a Léo d’Orfer, in una lettera del 27 giugno 1884: "La Poésie est l’expression, par le langage humain ramené à son rythme essentiel, du sens mystérieux des aspects de l’existence: elle doue ainsi d’authenticité notre séjour et constitue la seule tâche spirituelle", in S. Mallarmé, Correspondance. Lettres sur la poésie. Préface d’Y. Bonnefoy, ed. de B. Marchal, Paris, Gallimard 1995, p. 572.
11 "The voice I hear this passing night was heard / In ancient days by emperor and clown: / Perhaps the self-same song that found a path / Through the sad heart of Ruth, when, sick for home, / She stood in tears amid the alien corn". J. Keats, Ode to a Nightingale, VII, vv. 63-67.
12 Il riferimento è al libro di Ruth, 2, in cui Ruth, dopo aver lasciato la sua terra, Moab, per seguire Noemi sua suocera, giunge al campo di Booz, dove si sta mietendo l’orzo.

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